mercredi 10 mars 2010, par
Plaquette des singes
Damon Albarn est un type occupé. Déposer les gosses à l’école et terminer Your Very Own Song au profit d’Haïti avant le dentiste. Revoir la mise en scène de l’opéra chinois en matinée, puis rendez-vous au snack turc avec Lou Reed pour lui proposer un featuring. Passer au garage pour le contrôle technique et en profiter pour répéter les morceaux du prochain The Good, The Bad & The Queen sur un quatre-pistes avec Tony Allen. À 16 heures, reprendre les enfants, conduire l’aîné au solfège et passer au soundcheck pour le concert de reformation de Blur. Ramener la petite et la faire goûter pendant un bœuf avec les invités maliens. Ah oui : cette nuit, on enregistre au studio, il y a quand même 16 titres à boucler. On ne sait pas comment il fait, mais l’essentiel est ailleurs : c’est que ce troisième album du collectif simien est, encore une fois, une réussite.
Ne nous emballons pas non plus sur la frénésie du touche-à-tout Albarn : après tout, si on ne compte pas ses apparitions comme invité, sa casquette de producteur, les bandes originales et les compilations de faces B, il n’a jamais publié qu’un disque par an au cours de la dernière décennie. Et l’air de rien, cela faisait déjà cinq ans qu’on était sans nouvelle du groupe cartooné imaginé par lui et son comparse Jamie Hewlett, l’homme derrière les crayons. Ils justifient cette absence prolongée en renforçant encore la mythologie construite autour de leurs personnages virtuels : Noodle, la jeune guitariste japonaise, a été tuée dans le clip de El Mañana, mais elle est aujourd’hui remplacée par un cyborg construit à partir de son ADN ; quant à Murdoc Niccals, le bassiste sataniste autoproclamé leader, il s’est réfugié sur une île constituée des déchets de l’humanité. La fameuse "Plastic Beach", donc, d’où les Gorillaz – et leur armée d’invités – s’apprêtent à lancer une nouvelle offensive sur le monde.
Cette dernière démarre traîtreusement, avec une intro orchestrale délivrée par le Sinfonia Viva, qui joue son rôle à la perfection : installer d’emblée une ambiance post-apocalyptique, comme un travelling musical qui nous emmènerait dans un endroit déserté, avant de découvrir l’existence d’un dernier bastion contre l’actuelle morosité pop. C’est Welcome to the World of the Plastic Beach, un groove putride où le son de Gorillaz est aussitôt identifiable. Snoop Dogg y pose son flow le plus prédicateur et l’on sait, parce que l’album est long, qu’on est encore dans son prologue. Sur White Flag, on nous refait le coup de l’exorde symphonique, mais l’atmosphère est plus oasienne que désertique : le National Orchestra for Arabic Music nous amène à l’intérieur du luxueux repaire où Murdoc Niccals échafaude ses plans machiavéliques, et ce sont cette fois les MC’s britons Bashy et Kano qui déblatèrent sur nay, violons et darbouka.
Ça se confirme : dans le sillon d’artistes comme Speech Debelle ou le projet Blackroc, une vraie tendance semble s’esquisser pour la promotion d’un hip-hop 100% bio. Ça ne va pas débarrasser les chaînes musicales d’un bon nombre de beatmakers consternants, mais il y a de quoi relancer l’intérêt pour ce genre trop souvent boudé des fans de rock. Cependant, l’omniprésence de rappeurs sur le premier tiers de "Plastic Beach" peut sembler envahissante. Albarn lui-même – ou plutôt 2D, son alter ego animé – n’intervient vocalement qu’à partir de la quatrième plage, un Rhinestone Eyes indolent et aviné. On se rend assez vite compte que le grand absent du disque, c’est sans conteste... le refrain. Difficile de trouver ici un titre aussi catchy que Dirty Harry ou 19-2000 ; et ce n’est pas le premier single Stylo, malgré son clip avec Bruce Willis, qui risque de faire craquer les radios. Pourtant, tout cela s’inscrit dans une logique imparable et rien n’éloigne le groupe de sa supposée vocation : faire de la pop music. Une pop mutante, marginale, mais de la pop quand même, et qui a le mérite de prendre ses distances par rapport aux schémas qu’elle avait elle-même établis, de peur sans doute d’y rester fichée comme à un carcan.
Avec son ambiance orientale déliquescente (harpe chinoise et piano en apesanteur), Empire Ants rappelle d’abord un peu trop Hong-Kong, chef-d’œuvre d’Albarn tous projets confondus et originellement publié sur la compilation "Help : A Day in the Life". Vous avez dit carcan ? Non, car la chanson se déroule en deux moments et la songwriteuse japonaise Little Dragon débarque à la mi-temps pour coucher, sur une nappe electro-pop mélancolique, sa complainte rêveuse. Le disque tient sa première perle. Glitter Freeze confirme ensuite l’ambition d’un album qui revendique haut et fort sa nature chercheuse, fût-elle accessible à tous. Some Kind of Nature en vérité, comme Lou Reed le psalmodie plus qu’il ne le chante sur la plage suivante, récréation sympathique mais peut-être pas digne de son hôte – au même titre que les participations de Mark E Smith ou de la paire Jones/Simonon du Clash, tous sous-employés.
On finirait par croire que l’inspiration s’essouffle. Cependant l’album fonctionne un peu en trompe-l’œil, et dispense de fréquents moments de fausse ingénuité, à l’image de la phrase musicale qui scande On Melancholy Hill : absolument obsédante, elle démontre qu’il faut se méfier des apparences et que c’est avec des idées a priori anecdotiques qu’on construit des œuvres mémorables. Cela dit, à moins d’achever et d’éditer cette critique dans dix ans, il m’est difficile d’augurer comment vont vieillir des badinages tels que To Binge ou Broken. C’est au final dans ses moments de pur crossover que l’ensemble marche le mieux : De La Soul rempile avec chic en s’associant à Gruff Rhys (leader des Super Furry Animals) sur Superfast Jellyfish, le morceau qui ressemble le plus à un tube ; quant au précité single Stylo, s’il n’a rien d’évident, force est de reconnaître que sa ligne de basse proto-funk sert de terreau à ce que Gorillaz a fait de plus abouti. L’excellent Mos Def s’y ébat au meilleur de sa forme, tandis que la légende soul Bobby Womack se livre à une improvisation vocale qui donne au morceau son cachet si biscornu. Plus loin, le premier divaguera avec une fanfare (Sweepstakes) alors que le second s’offrira, avec Cloud of Unknowing, le deuxième petit bijou de l’album : une berceuse harmonique – le Sinfonia Viva est de retour – qu’il emmène littéralement hors du temps.
Le succès que va rencontrer "Plastic Beach" ne fait a priori aucun doute : moins plébiscité que ses prédécesseurs – pas forcément pour les bonnes raisons – il imposera malgré tout un peu plus Gorillaz comme la deuxième vie la plus captivante de l’histoire de la pop (donc devant PiL, Wings,... et bon nombre de carrières solo plus ou moins notables). Son mélange de vieux ingrédients récupérés et de futurisme soft en fait un objet terriblement contemporain, exempt de velléités avant-gardistes comme de prétentions durables. C’est juste l’histoire d’un type occupé, invitant des gens qu’il aime à s’amuser avec lui autour d’un jouet qui l’excite encore après dix ans. Ce que les autres en penseront, ça lui est probablement égal, il est d’ailleurs sans doute déjà passé à autre chose. Quant à nous, qui sommes vainement tentés de voir dans Gorillaz un ersatz de carrière pour Albarn, disons que les "Demon Days" sont déjà loin... mais que les jours de Damon ne font que commencer.
On l’avoue, on reçoit beaucoup de musique et vu la relative étroitesse des styles défendus ici, le tri est souvent vite fait. Et puis quand on écoute certains artistes à la marge de nos goûts, il se peut qu’on soit intrigués et que le contact se fasse. C’est ce qui s’est fait avec Florent Brack et le son d’Unstoppable qui claque. Une relative déconnexion de la vraie vie m’a tenu à l’écart des (…)
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