mercredi 7 avril 2010, par
Restons polis
Lorsqu’on pense à la carrière solo de Lou Rhodes, ancienne pourvoyeuse de frissons au sein du duo trip-hop Lamb, un point de comparaison s’impose assez rapidement : Brett Anderson. Certes, il n’y a que peu de traits communs entre Suede, parangon du dandysme britpop où Anderson faisait le paon de sa voix minaudière tout en jouant à Thierry la Fronde avec son micro, et les sous-Portishead dont Rhodes fut le cœur et les poumons. Cela dit, lorsque l’un comme l’autre ont reparu il y a quelques années sans plus se cacher derrière un collectif, il y avait indéniablement une symétrie dans la démarche : chacun, en effet, se réinventait en aède bucolique et couchait son spleen sur des instrumentations boisées. Néanmoins, si ce retour aux sources a permis à Brett Anderson de publier au moins deux derniers albums majestueux – malgré ou grâce à leur solennité grandissante – le parcours de Lou Rhodes vers le dépouillement s’apparente en revanche à une marche inexorable vers l’ennui. Un ennui poli, certes, mais l’ennui quand même.
Ce troisième album, après les jolis "Beloved One" et "Bloom", continue à s’appuyer sur le principal atout de la Mancunienne : une des plus belles voix féminines de ces vingt dernières années, capable de rivaliser avec la langueur toxique de Hope Sandoval ou la sensualité aérienne de Liz Fraser, voire – les meilleurs jours – d’emprunter à Beth Gibbons la formule qui permet de tutoyer les anges. Jamais mieux exploitée, à ce titre, que lorsqu’elle prête son organe à des projets polymorphes (réécouter le sublime Please avec Lamb, sa participation aux derniers Cinematic Ochestra et surtout sa collaboration extraterrestre avec Funkstörung), Lou Rhodes s’est aussi montrée capable de belles fulgurances sans avoir recours aux machines. Malgré tout, ses deux précédents ouvrages laissaient cette même impression mitigée : c’est régulièrement magnifique, mais difficilement écoutable en d’autres circonstances qu’un dimanche matin pluvieux.
"One Good Thing" s’enfonce un peu plus dans ce travers. À défaut de moments plus enlevés, on reste envasé dans une morosité que la chanteuse n’arrive pas toujours à sublimer. Attention, il y a des choses proprement bouleversantes ici : Janey, hommage très digne à la sœur disparue de la chanteuse – à qui est par ailleurs dédié l’album – noue les tripes avec un arpège monotone et l’apport salvateur d’un quatuor à cordes. Ce dernier illumine les plus belles réussites du disque : There For the Taking, où Lou Rhodes accompagne d’un souffle gracile le lancinement des violons ; le joli quoiqu’un peu longuet The Ocean ; et One Good Thing, qui a la bonne idée d’appeler une deuxième guitare – et une discrète grosse caisse – à la rescousse. Ailleurs, malheureusement, la pauvreté de l’instrumentation met l’attention à rude épreuve. It All ou Magic Day passent sans éveiller le moindre tressaillement, et Circles porte trop bien son nom : malgré quelques tentatives de s’extirper d’une orbite invariable, le morceau tourne bel et bien en rond.
La vraie déclaration d’intention, ici, c’est Melancholy Me ; avec son falsetto presque douteux, il résume assez explicitement l’humeur du disque : nostalgique, cafardeuse, mais dans un registre qui flirte hélas avec la complaisance. Il reste bien les harmoniques et le texte mignonnement naïf de Why Wait for Heaven, ou le chœur délicat sur The More I Run, belle bluette à la Emiliana Torrini, mais au final le butin est maigre. On n’attendra donc plus grand-chose, à l’avenir, d’un album solo de Lou Rhodes, sinon un disque de chevet pour se faire bercer les nuits sans sommeil. Par contre, on se verrait bien envoyer son C.V. aux nombreux producteurs d’électro saturnienne qui ne l’ont pas encore enrôlée. On le sait, la place d’une sirène est sur un rocher ; dès lors, si celle-ci persévère à pousser ses incantations au milieu d’une plaine désolée, elle risque bien de ne plus trouver grand monde à faire chavirer.
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