mercredi 26 mai 2010, par
Darwinisme musical
Le cas des Black Keys m’a toujours posé un très simple cas de conscience : pourquoi s’intéresser à un autre duo garage blues quand on a les White Stripes ? C’est la même réflexion naïve qui m’a poussé à ignorer poliment la discographie d’autres groupes basés sur le même schéma guitare / batterie, depuis les antipodes de Blackwater Fever jusqu’à nos compatriotes de Black Box Revelation ; bref, que des gens qui déclinent le blues dans toutes les nuances du « black » pour tenter de faire oublier un certain Jack White. Et puis, une vacance s’est révélée depuis que ce dernier investit la même énergie dans ses projets parallèles. Alors que The Dead Weather publiait donc son deuxième album en moins d’un an dans un registre plus franchement hard, l’occasion était trop belle de combler ce manque de rock primitif que le sixième album des Black Keys serait plus qu’à même de satisfaire.
Primitif, encore que... adepte d’un darwinisme musical qui exclut la survie des espèces trop conservatrices, voilà un bon moment que la paire formée par Dan Auerbach et Patrick Carney a évolué vers un son moins brut de décoffrage en passant de la cave au studio, flirtant plus que de raison avec le hip-hop en faisant produire le précédent “Attack & Release” par Danger Mouse et surtout, en empruntant la voie interculturelle sur le génial projet Blakroc. Fruit de cette généalogie enrichie, “Brothers” est sans conteste l’album le plus varié du duo d’Akron, fidèle à ses fondamentaux comme à ses aspirations universelles. En reprenant les rennes de la production – régulièrement assistés par le pionnier Mark Neill – les Black Keys démontrent qu’ils peuvent rester convaincants sans renier leurs origines ni exclure le mainstream.
Un questionnement s’impose cependant : que faut-il penser du fait que le meilleur titre du disque – l’ultratubesque Tighten Up, annoncé par un clip fauché désopilant et renforcé par un nouveau clip aussi drôle – soit le seul produit par Danger Mouse ? Une deuxième collaboration plus consistante – sur la longueur d’un album, donc – aurait-elle prolongé cette alchimie ou décrédibilisé le groupe ? Les idées que Brian Burton s’en est allé diluer sur le médiocre effort de Broken Bells auraient-elles pu faire de “Brothers” un petit chef-d’œuvre ? On ne saura sans doute jamais à côté de quoi on est passé, mais les écoutes en boucle de Tighten Up n’en finissent pas de transformer nos conjectures en tortures. D’autant que l’album exhale un autre parfum de regret en s’étirant inutilement sur 15 titres, ce qui en fait sans doute bien deux de trop.
Pour le reste, le dosage est familier et fonctionne à merveille : au moins deux riffs monstrueux (Howlin’ for You, qui pompe sa rythmique sur le Rock n’ Roll de Gary Glitter, et le down-tempo irrésistible d’Unknown Brother) ; la reprise d’un standard soul (Never Gonna Give You Up de Jerry Butler) ; une ballade incapable de ralentir (The Only One, qui rappelle le versant apaisé de The Heavy) et un slow vraiment habité (Too Afraid to Love You, franchement pas éloigné de Gnarls Barkley) ; plus quelques incendies comme peuvent en allumer les Cold War Kids (Next Girl, She’s Long Gone,...). Bref, ça brûle sans sentir le réchauffé, parce que les Black Keys font partie de ces gens qui ont touché et entretiennent le vrai feu sacré, la flamme des grands écorchés qui savent qu’une guitare distordue pleure plus juste quand ses larmes sont sincères : « I am the bluest of blues / Everyday a different way to lose »
Autoradio
Au fond, peut-être que Dan Auerbach et Patrick Carney ont lu notre critique de “Brothers” et qu’ils ont tenté de suivre à la lettre le conseil qu’on leur glissait à demi-mots : faire plus court et plus pop. On reprochait à leur précédente galette de contenir un tube énorme qui, comme par hasard, était le seul morceau produit par Danger Mouse ; ce coup-ci, Brian Burton est crédité (…)
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