mercredi 9 juin 2010, par
Héros raisonnable
Je n’ai jamais été particulièrement fan des artistes qui, de Fleet Foxes à Coldplay (“Viva la Vida”), choisissent un classique de la peinture pour orner la pochette d’un album. Sur celle du premier effort de Lone Wolf, on peut voir en l’occurrence le fameux tableau de David représentant le serment des trois frères Horaces. Et là, un petit flash-back s’impose pour ceux qui n’ont pas suivi l’option ‘latin’.
Alors que Rome n’était encore qu’un petit royaume, le roi Tullus Hostilius déclara la guerre à sa cité mère – elle vit naître Romulus – Albe la Longue. Pour éviter un inutile bain de sang, chaque ville nomma trois champions qui s’affronteraient ensemble au nom des deux peuples. Les Albains élirent trois frères de la famille des Curiaces, et les Romains envoyèrent les Horaces. Les Albains prirent l’avantage : deux des Horaces furent tués et les Curiaces, bien que blessés, n’avaient plus qu’un adversaire à éliminer. Incapable d’affronter simultanément ses ennemis, le dernier des Horaces prit la fuite :
« Il était déjà à une certaine distance du champ de bataille, quand il tourna la tête et vit ses poursuivants très espacés. Le premier n’était pas loin : d’un bond, il revint sur lui : Horace avait déjà tué son adversaire et vainqueur, marchait au second combat. Poussant des acclamations, les Romains encouragent leur champion : lui, sans donner au dernier Curiace, qui n’était pourtant pas loin, le temps d’arriver, il tue l’autre. Maintenant la lutte était égale, survivant contre survivant ; mais ils n’avaient ni le même moral, ni la même force. L’un, deux fois vainqueur, marchait fièrement à son troisième combat ; l’autre s’y traînait, épuisé. (…) Il lui plonge d’en haut son épée dans la gorge, l’abat, et le dépouille. » [1]
Pour une fois, le choix de l’œuvre picturale censée refléter le contenu de la rondelle n’est pas forcément gratuit ou paresseux. À l’instar du jeune Horace, la musique de Lone Wolf – alias Paul Marshall, qui n’en est pas, en réalité, à ses premiers pas discographiques – a l’art de prendre du recul pour abattre ses cartes l’une après l’autre. Empreintes d’une puissante sensibilité que le songwriter cherche d’abord à dissimuler derrière une fausse nonchalance, les chansons de “The Devil and I” révèlent une fluidité mélodique sans prétention, qu’on est prêt à laisser courir dans un premier temps mais qui finit par vous rattraper et, dans un sursaut d’émotivité, vous lacère la gorge sans crier gare.
On pense, sans avoir nécessairement envie de les entendre essayer, à ce que de délicieux pleurnichards tels que Chris Garneau ou Adrian Crowley feraient s’ils contenaient leurs larmes. On y gagne forcément en subtilité mais, d’autre part, on y perd tout de même en souffle. Préférant laisser les plus passionnés s’engager dans la bataille avant lui, Lone Wolf se préserve des écorchures trop béantes et fait preuve d’un héroïsme plus raisonnable. Il n’empêche qu’on préfère souvent les martyrs aux vainqueurs trop froids :
« Horace, chargé de son triple trophée, marchait à la tête des Romains. Sa sœur, qui était fiancée à l’un des Curiaces, se trouve sur son passage près de la porte Capène ; elle a reconnu sur les épaules de son frère la cotte d’armes de son amant, qu’elle même avait tissée de ses mains : alors, s’arrachant les cheveux, elle redemande son fiancé et l’appelle d’une voix étouffée par les sanglots. Indigné de voir les larmes d’une soeur insulter son triomphe et la joie de Rome, Horace tire son épée et en perce la jeune fille en l’accablant d’imprécations. (…) Pour son acte ignoble, les magistrats condamnèrent Horace à un terrible châtiment : on voilera la tête du coupable, on le suspendra par une corde au poteau d’infamie et il mourra sous les verges. » [2]
Ne pouvant tolérer le fait qu’on pleure ainsi le songwriting de l’autre rive, plus impliqué sur le chant de bataille, Lone Wolf dégaine d’autres armes : chœurs voltigeurs (Keep Your Eyes on the Road, 15 Letters), cuivres brûlants (This Is War, We Could Use Your Blood), violoncelle ombrageux (Buried Beneath the Tiles, Russian Winter), mais jamais plus d’une à la fois. La lutte pour l’excellence est menée méthodiquement, avec prudence et sans épate. Le ton est dur mais jamais belliqueux (Soldiers), le teint est sombre mais il y a toujours une bougie pour caresser l’obscurité (Dead River). Tout cela sent le sang mais pas la charogne, comme dans les très en vogue histoires de vampires bourrés de principes.
Lone Wolf a passé la nuit avec le diable, peut-être ; cependant, il réfrène sans peine ses penchants démoniaques et regarde stoïquement le feu s’abattre, car il a su bien choisir ses maux. Ni joie ni larmes : « We’re not dead yet ! No... overflow, overflow, overflow. » L’espoir n’est pas vain et ce disque a fait le serment de ne jamais s’abandonner. C’est à la fois sa force et son plus grand aveu de faiblesse.
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