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Morcheeba - Blood Like Lemonade

vendredi 11 juin 2010, par Laurent

Guerre propre


Ce qu’il y a d’embêtant avec le dernier Morcheeba, c’est que c’est le genre de disque dont on rédige la critique avant même de l’avoir écouté. Qu’il est difficile de passer outre les a priori autour d’un groupe qu’on a d’abord beaucoup aimé et par qui on s’est ensuite senti trahi. Déjà, à l’époque de “Charango”, les signes d’essoufflement étaient patents mais en même temps, la volonté d’évoluer – fût-ce vers la désincarnation – n’aurait pu être blâmée. Puis le départ de Skye Edwards, voix de Morcheeba mais surtout son cœur, ses poumons, ses jambes, son âme, a bouleversé la donne.

Les deux albums suivants, laissant s’exprimer deux hémisphères cérébraux – les frères Godfrey – dépossédés de leur corps et d’un tant soit peu de personnalité, n’ont été qu’embarrassants : “The Antidote” n’a rien résolu du tout en cherchant à remplacer la voix si habitée de Skye par une fade cachetonneuse, entre Nouvelle Vague et Nouvelle Star ; quant à “Dive Deep”, il portait son nom de trop malheureuse façon en s’embourbant encore plus profondément dans la vase.

Le retour de Skye au bercail – sticker promotionnel faisant foi – après une triste tentative de carrière solo, s’annonçait donc moins comme une résurrection que comme le baroud d’honneur d’une compagnie d’éclopés. Dans un contexte à peine différent, on aurait osé lâcher le gros mot : reformation. Peut-être faut-il simplement, après tout, considérer ce “Blood Like Lemonade” comme le véritable cinquième album de Morcheeba, la suite logique de “Charango” après un long hiatus entrecoupé d’anecdotes discographiques oubliables. Même à ce titre-là, inutile de préciser encore qu’on n’en attendait pas grand-chose et que c’est bien ce qu’on reçoit.

Pourtant, à l’écoute de la délicate Even Though ou de la plus chaloupée Blood Like Lemonade, on constate vite que Morcheeba construit toujours ses refrains à la mode d’autrefois. Et c’est justement là que le bât blesse : si le trio retrouve bel et bien une part de son efficacité passée, las ! elle apparaît bien désuète. On croirait écouter Cirkus, l’actuel combo de ‘Memeh’ Cherry, soit du trip hop qui a oublié de mûrir – n’est pas Portishead ou Massive Attack qui veut – à l’image d’une vieille peau qui cache ses rides sous trois kilos de cosmétiques pour aller draguer des petits jeunes en boîte. Le résultat est, au pire, vulgaire ; au mieux, pathétique.

On n’ira pas jusque là, car l’album n’est pas exempt de bons moments, en particulier les plus langoureux (Crimson, Self Made Man ou la duveteuse I Am the Spring). Seulement, trop de langueur tue la langueur et malgré un Cut to the Bass où les Godfrey jouent aux apprentis Avalanches, on flirte plus que de raison avec la lounge. Surtout, la mise en forme déçoit par son côté déjà entendu, un peu comme si le groupe avait sciemment cherché à séduire son public par quelque stratégie pavlovienne. Les nostalgiques conditionnés céderont peut-être. Les pensionnaires réguliers de l’Hôtel Costes, sûrement.

Pour ma part, je me rends compte que je n’avais pas besoin d’acheter cet album pour tirer mes conclusions : Morcheeba est un excellent groupe... du siècle dernier. Sa valeureuse résistance aux ravages du temps use malheureusement d’armes dépassées et, en ces périodes de crise(s), on a davantage besoin de remontants que d’analgésiques. Et puis la guerre, c’est sale. Pour survivre dans ce monde de brutes, Morcheeba est décidément un peu trop propre.


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