mardi 29 juin 2010, par
Entre l’être et l’oubli
Le magazine britannique Q, jamais à une ineptie près, s’est pourtant fendu d’une jolie formule, dans son numéro du mois de juillet, pour décrire la musique du collectif Gayngs : « stoner AOR ». Ils n’ont pas tort, ces Anglais ; il y a effectivement, sur l’insolite “Relayted”, quelque chose d’un Fleetwood Mac qui aurait préféré les analgésiques à la cocaïne, quelque chose aussi d’un Josh Homme fatigué. Ou sous-marin, peut-être : de la même façon que la pression aquatique ralentit les trajectoires violentes d’une balle ou d’un coup de poing, les petits gars de Gayngs saisissent l’énergie du rock et l’élastifient jusqu’à en faire une matière flottante.
Ainsi, lorsque les voix sont déformées au point d’en brouiller les genres, coincées entre les extrêmes de l’androgynie et de l’asexuation, on penserait plutôt à des projets électroniques tels que The Knife. Cry, reprise gonflée de Godley & Creme, en constitue d’ailleurs le meilleur exemple. Car d’autre part, c’est surtout à un certain versant soutenable des années 80 – si, ça existe – que nous convient la plupart des titres. Pourtant, on parle bien ici de la variété lente ouverte aux solos de saxophone qui, de Champaign aux Korgis, a provoqué plus d’un mariage – ou à tout le moins, quelques roulages de pelle sur fond de néons mauves. Mais le traitement pour ainsi dire expérimental infligé par Gayngs transforme la matière première en quelque chose de totalement inédit et insaisissable.
Le résultat est parfois poussif, sur les morceaux les plus déstructurés (False Bottom, The Beatdown) ; mais quand le groupe est focalisé sur son sujet, c’est absolument brillant (No Sweat, The Walker). On se verrait alors bien danser un slow dans un film de John Hugues, avant d’être rattrapé par une director’s cut signée Lynch ou De Palma. Monument du genre, le long titre initial The Gaudy Side of Town ressemble à un mash-up du True de Spandau Ballet et du Careless Whisper de George Michael... remixé par Four Tet. Comment définir autrement cet amalgame inattendu – inentendu ? – d’hétérodoxie et de kitsch, celui que Kundera définissait comme « la station de correspondance entre l’être et l’oubli » ? Peut-être en évoquant cet autre nom, nettement plus obscur mais digne des plus éclatants rayons, celui de Raz Ohara et de son Odd Orchestra. On retrouve chez Gayngs la même torpeur habitée, les mêmes gimmicks pour inviter à la transe.
Avant de tirer des conclusions trop définitives, il faudra cependant passer par Faded High et son motif à la OMD. Non content d’être le titre le plus anachronique du lot, c’est surtout celui où l’on reconnaîtra le plus facilement la voix de l’amphitryon : Justin Vernon... eh oui, monsieur Bon Iver en personne. L’air de rien, le héros surprise de 2008 n’aura pas chômé depuis le déjà culte “For Emma, Forever Ago” : au sein de Volcano Choir, aux manettes de l’album de Daredevil Christopher Wright ou en duo avec St. Vincent, il se faisait aussi remarquer récemment sur la dernière fantaisie d’Anaïs Mitchell (critique à suivre). On ne va donc pas s’étonner de le voir, en compagnie de membres de Megafaun ou du groupe d’Andrew Bird, bidouiller quelques arrangements narcotiques sur du vernis eighties. Après tout, il ne l’avait pas encore fait et c’est sans doute là qu’il faudra anticiper à l’avenir ses choix artistiques.
Alors que Ride lorgnerait d’ailleurs davantage du côté du David Sylvian période Sakamoto, on achève le parcours sur un ultime slow langoureux proprement indéfendable : synthés gluants, vocoder, talk-over suave, rien ne manque à ce Last Prom on Earth pour parfaire l’imitation foireuse de Ten CC qui atteint ici les pires sommets de mimétisme et continue de fasciner malgré tout, parce qu’on y perçoit la nécessaire dose de second degré, ce plaisir régressif à l’œuvre tout au long du disque et tourné en dérision par un évident côté camp. Le ‘Y’ qui distingue ce gang d’autres exercices de style à géométrie variable n’est franchement pas innocent.
Aussi, dans le regain d’intérêt pour un certain mauvais goût qui caractérise ce début de décennie, on ne s’attendait pas à voir un groupe réhabiliter cette frange précise de la pop m’as-tu-vu, d’autant moins pour lui imposer le grimage psychédélique auquel Gayngs soumet sa musique. Le fait qu’une starlette du rock indé soit dans le coup est au final anecdotique ; ici, le concept est suffisamment fort pour dépasser ses auteurs, surtout quand on sait qu’une vingtaine d’invités gravitent autour du projet. Et même si “Relayted” est assez inégal, on y reviendra souvent tant il est, en 2010, unique en son genre.
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