Accueil > Critiques > 2010

The Smiles & Frowns - The Smiles & Frowns

jeudi 30 septembre 2010, par Laurent

Fournisseurs officiels


« La vérité ? disait le spectateur de la première pièce de Beckett. Ne vous en faites pas pour cela. Pour la vérité, nous nous adressons ailleurs, chacun a son fournisseur. Non, ne vous tracassez pas à ce sujet. D’ailleurs, vous ne savez pas ce que c’est que la vérité. Nous non plus. Vous l’avez peut-être dite sans le savoir. Et sans que nous le sachions. » Dans un 21e siècle censé être religieux ou ne pas être, et où les crises de foi s’abreuvent à la source de la plus répugnante actualité, on construit ses vérités chaque jour avant que le monde s’écroule, en se fournissant partout où il y a des fragments de beauté à grappiller.

C’est ce qui nous amène régulièrement dans ces temples du défrichage où quelques prêcheurs involontaires nous livrent leur bonne parole. Bien souvent ici, où l’on a découvert il y a quelque temps l’album ultra-concis des Smiles & Frowns, fournisseurs officiels de bonheur. Huit titres, moins de 25 minutes. Et pas une once de regret. Le parfum est pourtant nostalgique : entre l’évidence mélodique de Donovan, le velouté melliflu de Sean Lennon et la grâce spectrale de Tim Buckley, le duo américain distille ses comptines sans âge, nous présentant de nouveaux amis pour la vie, comme échappés d’existences où nous apprenions leurs prénoms sur une vieille radio à cadran (Sam, Cornelius).

On n’a pas envie d’en dire trop, fût-ce pour rendre hommage au savoir-faire des Smiles & Frowns, ou l’art d’aller à l’essentiel sans s’encombrer d’inutiles, sans se nourrir des diktats ou se plier aux figures imposées. Car que vaut un refrain quand les couplets vous hantent (Huevos Rancheros) ? À quoi peut servir un solo quand le refrain est musical (The Memory Man) ? Qu’est-ce qu’une chanson quand on peut se passer de la chanter (March of the Phantom Faces) ?

Les Smiles & Frowns semblent interroger la vanité des schématismes (Mechanical Songs) mais la résolvent sans démonstration, font résonner le passé (The Echoes of Time) tout en ridiculisant la notion de chronologie. Leur musique est un art de la fugue, une fausse quête de vérité qui, sous la douce écorce de ses ballades translucides, dissimule une poursuite effrénée de liberté.


Répondre à cet article

3 Messages

  • Sarah Mary Chadwick - Messages To God

    Dans une ère où toutes les émotions sont passées sous l’éteignoir d’une production qui lisse, il est plaisant de rencontrer des voix (forcément) discordantes comme celle de la Néo-Zélandaise Sarah Mary Chadwick sur son huitième album solo. On se frotte d’emblée à ce ton naturaliste et direct qui n’est pas sans rappeler Frida Hÿvonen. Frontal donc, d’une sincérité qui peut aller jusqu’au malaise. La dernière (...)

  • Anohni and the Jonsons - My Back Was a Bridge for You to Cross

    Une limitation connue de la critique est qu’elle intervient à un temps donné, dans un contexte. Or on sait que les avis ne sont jamais constants dans le temps. Ainsi si I am a Bird Now a beaucoup plu à l’époque, on le tient maintenant comme un des meilleurs albums de tous les temps, tous genres et époques confondus. Cette proximité crée aussi une attente quand que les Jonsons sont de nouveau de la (...)

  • Jungstötter - Air

    Quand on a découvert Jungstötter, c’était presque trop beau pour être vrai. En se situant aux confluents de tant de choses qu’on aimait comme Patrick Wolf ou Soap&Skin (dont il a assuré les premières parties) ou Anohni, il a délivré avec Love Is un de nos albums préférés de ces dernières années. C’était aussi l’occasion de retrouver des collaborateurs talentueux comme P.A. Hülsenbeck qui d’ailleurs est (...)

  • Lana Del Rey - Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd (...)

    Généreuse dans l’effort, Lana Del Rey l’est certainement, et il faut l’être pour livrer aussi régulièrement des albums aussi consistants. Surtout s’ils sont entrecoupés de recueils de poésie. Maintenant, on peut s’affranchir d’un rappel des faits précédents. On remontera juste jusqu’au formidable Noman Fucking Rockwell ! pour signaler qu’il y a eu deux albums jumeaux en 2021 qui l’ont vu à la fois revenir à (...)