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Kanye West - My Beautiful Dark Twisted Fantasy

samedi 27 novembre 2010, par Laurent

Miracle


MC de seconde zone mais soundmaker d’exception, fanfaron en panne d’humilité mais à la fragilité d’enfant blessé, figure imposante du hip-hop qui gagne capable de s’excuser d’avoir fait de la peine à G.W. Bush comme de se faire traiter de con par Obama,... on pourrait disserter des heures sur l’image ambiguë de Kanye West, idiot du village global ou génie inapte à synthétiser ses propres contradictions. Au fond, cet homme est un peu le Jean-Claude Van Damme du rap : un poids lourd qui sait envoyer le bois mais cherche indéfiniment à se comprendre lui-même à haute voix, et passe sa vie à tirer les leçons des erreurs passées.

Sauf que Kanye West, tout incompris qu’il soit, est légitimement reconnu comme un cador, un réformateur de l’art d’échantillonner, un musicien pas forcément visionnaire mais qui contribue depuis plusieurs années à libérer le genre de ses carcans. Son rap sensible, peu soucieux des codes d’une rue qu’il n’a pas fréquentée d’assez près, fusionne un r’n’b lavé de ses mièvres clichés et un funk cosmique qui joue de son érotisme en apesanteur. Ces éléments-là s’imprègnent surtout d’une relation privilégiée avec la pop au sens le plus noble, à quoi s’ajoutent des tentations prog qui ne font que gagner du terrain album après album.

Contrairement à nombre de ses collègues, sinon cet autre brouilleur de pistes qu’est Pharrell Williams, Kanye West privilégie donc depuis “Graduation” des albums courts, tout-terrain, bref pop. Nuançons toutefois : “My Beautiful Dark Twisted Fantasy” – qui porte extrêmement bien son nom – ne contient que onze véritables chansons et les étire tout de même régulièrement sur six minutes ou davantage. Pour la brièveté, on repassera : à l’efficacité, West a cette fois préféré la profondeur ; à la facilité, une dose homéopathique d’expérimentation. Il n’empêche que sur ce disque de plus d’une heure et peu porté sur l’économie de moyens, on est happé de bout en bout.

Oui, dans ses moments épiques – et ils sont nombreux – l’album sonne terriblement prétentieux. Et on ne peut que lui donner raison, parce que ce gigantisme sert les chansons à la perfection et ne joue pas les cache-misère comme sur tant de productions boursouflées (noms disponibles sur simple demande). Kanye West cherche simplement à enfoncer la concurrence, à toucher de nouvelles sphères. « Can we get much higher ? » entend-on clamer au début de Dark Fantasy. Déboule alors un beat mortel, à la fois martial et désarmant de coolitude, pondu avec un coup de main de RZA. Kanye a beau y poser un flow sans altesse, personne ne peut perdre avec ce genre de tuerie.

Si Gorgeous enfonce ensuite le clou du cool en compagnie de l’indispensable Kid Cudi, le single Power donne carrément dans l’implacable. Rythme entêtant, handclaps épidé(r)miques, lyrics ultra égotistes et sample de King Crimson : les intentions crossover sont manifestes, mais ouvertement dirigées vers le prog by the book. Tel clin d’œil ne passe pas inaperçu et on peut y lire des éléments de réponse explicites à ce goût plus prononcé pour le rock buissonnier. Pourtant c’est rien moins qu’Elton John, pas exactement un déviant, qui caresse son piano sur l’intro d’All of the Lights. Le morceau aux featurings interminables et de goûts variables (Fergie tente de cloner M.I.A. sur un rap distordu, Rihanna assure un refrain trop lisse) tente l’épopée r’n’b avec un succès relatif. S’il est clairement le plus faible de l’album, il devient difficile, à l’usure, de résister à son drumbeat qui joue au ping-pong avec nos nerfs.

Kanye West enchaîne ensuite avec deux gros biftecks pour occuper le cœur de sa fantaisie tordue : Monster et So Appalled sont les seuls tracks à ne pas apparaître dans le clip de 35 minutes que le Chicagoan a conçu en prélude à la sortie de l’album – un affront au 7e art, soit dit en passant, mais un régal kitsch qui se déguste au troisième degré. Quoi qu’il en soit, les deux morceaux sont toutefois bien connus des fans puisque, depuis plusieurs mois, Kanye West les abreuve chaque semaine d’un titre inédit et que ceux-là ont été rescapés de cette série des “G.O.O.D. Fridays” pour être intégrés au disque. Choix gagnant : Monster est effectivement monstrueux et So Appalled dispute aux autres une noirceur qui rappelle les moments les plus plombés de “808s & Heartbreak”. Et puis, avec deux apparitions consécutives du roi Jay-Z (entre autres, et en attendant un album en duo), difficile de se tromper.

C’est cependant la suite qui réserve encore le meilleur. Basé sur un sample du grand Smokey Robinson, Devil in a New Dress est une vraie démonstration de soul post-moderne où West fait judicieusement l’impasse sur son précieux autotune et qu’un solo de guitare désuet comme il faut vient littéralement embraser. Quant à Runaway, c’est le miracle absolu : quatre notes répétées ad libidum sur un clavier bancal, un violoncelle nuancé et un élan touchant de modestie proche de l’auto-flagellation. Le titre s’étale sur neuf minutes comme dans la version du fameux clip précité et le recours à l’autotune (chassez le naturel...) propose ici quelque chose de suffisamment insolite pour remettre en question la chronique d’une mort annoncée par l’ami Shawn Carter.

L’émotion reste étonnamment au rendez-vous sur Blame Game, autre morceau d’humble bravoure où John Legend, sur une sonate empruntée à Aphex Twin, dessine la frontière entre amour et haine ; West pousse ensuite le dandysme jusqu’à réciter une poésie, et Chris Rock sa lance dans une diatribe d’une rare vulgarité mais à l’élégie palpable. Parce qu’il est capable de marier sans complexe le sublime et le ridicule, Kanye West fait franchement figure de romantique. Il donne surtout au hip-hop commercial ses lettres de noblesse, notamment pour sa tendance récurrente à recruter ses mercenaires des deux côtés du Rio Grande musical. Ainsi, si l’imprévisibilité de Justin Vernon n’est plus à prouver, sa connivence avec le groove urbain reste une expérience singulière, qui atteint des sommets d’intelligence sur Lost in the Woods.

Le grand finale, comme un bouquet pyrotechnique aux milliers de nuances chromatiques, réunit donc l’hypersensibilité du Bon Iver de “Blood Bank”, le Makossa contagieux de Manu Dibango et un tempo de night-club moite, avant de se prolonger dans un épilogue scandé par la prose exaltée de Gil Scott-Heron. Aller plus loin dans le mélange des genres relèverait de la quadrature du cercle, surpasser tant d’outrance constituerait une gageure devant laquelle tremblerait même Sufjan Stevens. En ne s’interdisant aucun excès, Kanye West s’est donc offert le luxe de s’élever bien au-delà de ses précédents efforts. En synthétisant tout son savoir-faire dans une collection de titres plus vampiriques les uns que les autres, il vient d’offrir au rap bling-bling son premier chef-d’œuvre depuis des lustres.


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7 Messages

  • Kanye West - My Beautiful Dark Twisted Fantasy 27 novembre 2010 12:21, par Spiroid

    Très bien produit, ok. Meilleur que ses précédents albums, ok plus abouti en tout cas. Mais dans le détail... J’ai remarqué que jamais personne ne parle de "Devil in the New Dress" ? Ca ferait sans doute tâche de parler d’un morceau aussi cucul pour encenser un album. :D Et Runaway qui "s’étale sur 9 minutes", avec quatre notes de piano ad libitum ? Exactement, et 9 minutes c’est très très long, surtout vers la fin avec cet énième solo de guitare fort dispensable. Et franchement, Lost in the Woods sommet d’intelligence ? On se croirait dans les pires remix qu’on peut entendre à la radio. Le début est intriguant, la fin beaucoup moins...
    Bref, je conçois aisément qu’on puisse trouver toutes les qualités à cet album, mais quand même, il a beaucoup trop de défauts pour mériter des critiques si dithyrambiques...

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    • Kanye West - My Beautiful Dark Twisted Fantasy 27 novembre 2010 14:31, par Laurent

      Deux malentendus à lever d’abord :
       Par "intelligence", et j’admets à charge ne pas l’avoir surligné pour me faire mieux comprendre, j’entendais le sens premier, étymologique, dans le contexte de la connivence donc.
       Pour Devil in a New Dress, ben... dommage que tu aies lu la critique en diagonale alors. ;D

      Sinon, j’ai mis du temps avant de me rendre compte que ce disque était un chef-d’oeuvre. Et comme pour tous ceux que je considère comme tels, les défauts sont à mes yeux aussi importants que les qualités (un peu comme "tomber en amour", comme disent nos amis du nord-ouest). En tout cas je ne m’ennuie à aucun moment de l’album et après une vingtaine d’écoutes (je crois que je n’ai à peu près rien écouté d’autre depuis une semaine), il me fait toujours autant d’effet.

      Sinon, je découvre entre-temps que tout le monde en dit le plus grand bien effectivement (et abstraction faite du bonhomme himself et de son débit de conneries à la minute). J’assume donc d’autant mieux le dithyrambe...

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      • Kanye West - My Beautiful Dark Twisted Fantasy 27 novembre 2010 18:49, par Spiroid

        Ah excuse moi pour "Devil in a New Dress" , je suis mauvaise langue. :D Je comprends parfaitement ton point de vue, ce disque respire vraiment la grandeur et l’ambtion, et il s’écoute vraiment facilement j’ai moi-même dû l’écouter au moins 5 fois. Mais encore une fois, c’est vraiment la production qui accapare ton mon intérêt pour ce disque, car la plupart des chansons en elle-mêmes ont vraiment tendance à me fatiguer rapidement.

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        • Kanye West - My Beautiful Dark Twisted Fantasy 28 novembre 2010 18:38, par Laurent

          Mais quelle production !

          Zut, je me contredis là... Je sais pas, ça doit être une question de dosage (oserai-je lâcher le mot "alchimie" ?). C’est juste trop bien balancé, j’arrive pas à résister.

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  • Kanye West - My Beautiful Dark Twisted Fantasy 8 décembre 2010 14:34, par Acid Kirk

    j’hallucine que cette daube soit considerée comme Le chef d’oeuvre ultime du r’n’b, hip-hop, rap or what the fuck you want to call those guys making stupid big beats that sounds sooooo great in my car and then bubbling pseudo revolutionary lyrics that are actually a very naive vision of the geo-political situation of the world we live in and at the same time make money their ultimate god, all of that enrobed in sampling so obvious when you actually listen to some MUSIC (common’ poeple, listen the pathetic way he uses parts of Aphex Twin’s or Bon Iver’s songs, there’s not an inch of creativity here, only opportunism, lazyness, machism and so on...).

    On est pas sorti de l’auberge bro’s & sis’s ? YOP-laid ! (ça c’est finau comme jeu de mot, j’devrai faire du r’n’b).

    J’ai jamais été un fan de hip-hop, mais j’me souviens d’une période ou ce style sonnait engagé et bouillonait d’énergie. Ce K West, c’est de la mega daube de super marché ; réveiller vous les filles !

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    • Kanye West - My Beautiful Dark Twisted Fantasy 9 décembre 2010 00:51, par lionel

      le truc c’est que t’as plusieurs style de hip-hop, à toi de voir lequel te plait. Même si tu ne te considère pas fan du hip hop il y a forcément un genre qui te plairait, ce milieux est tellement vaste en ce moment. On peut très bien passer de Why ? aux membres de Ninja Tune en passant par des Burial, Baths et Daedelus qui ont des influences qui ne sont pas obligatoirement du hip-hop. C’est le même principe pour tous les styles en gros : t’as du commercial, du mélangé avec un autre style, de l’expérimentale, de l’engagée, de l’instrumentale etc etc...

      J’ai pas encore écouté l’album (je ne me presse pas, même si je vois apparemment qu’il est déjà dans le top 3 2010 de pas mal de mag ou web-zine musicaux), mais ce ptit Kanye, même si overrated, à toujours eu de bonnes idées. Son style de chant, sa musique assez original (j’oses : "artistique") dans un milieux fin 90-début 2000 très bling bling (je pense qu’il l’aura été une certaine période quand même)... C’est facilement démontable et détestable, mais au niveau de la production qui est une tuerie, et de la création, y a de l’idée il faut le dire.

      J’ai juste eu l’occasion d’écouté le single : intéressant, sombre (même si la partie featuring est dispensable...), 4 notes de pianos... La aussi c’est facilement démontable mais on en a vu d’autre s’en sortir avec moin que ça.

      Mais ces éloges pour cet album m’intringue, je vais y jeté un coup d’oreille.

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  • Je voudrais répondre à Spirold en lui disant : trou de balle.

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