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Beastie Boys - Hot Sauce Committee Part Two

mardi 3 mai 2011, par Laurent

Vieux singes et vieilles marmites


Écouter les Beastie Boys en 2011 peut difficilement être associé à autre chose qu’un plaisir régressif. On n’a pas dit coupable, loin de là. Mais à l’image du clip désopilant qui a accompagné l’attente de cette sortie anachronique, c’est un parfum de nostalgie qui semble embaumer les nouvelles productions du trio new-yorkais. Et là, difficile de savoir sur quel pied danser : celui qu’on prend à retrouver les grimaces de nos vieux singes, plus aptes que n’importe qui à se singer avec talent, ou ce panard qui dribble avec le sol, dans l’impatience d’être surpris par le prochain morceau qui jouera à la toupie avec nos synapses.

C’est que les attentes pouvaient raisonnablement se la péter avec ce Make Some Noise introductif, single imparable, piqûre de rappel d’un certain âge d’or. Or, or, or quand bien même la suite ne décevra pas le fan transi, c’est en vain qu’il cherchera le moindre morceau du même acabit. En revanche, c’est avec le goût du souvenir heureux que les menus précédant cette sauce chaude lui ont laissé dans la bouche, qu’il s’y délectera de mille saveurs connues, tant d’ingrédients familiers qui l’immergeront de bout en bout dans un trip passéiste. Et on ne voit franchement pas quelle honte il y a à faire perdurer un univers dès lors qu’on l’a, jadis, façonné de toutes pièces.

Ces voix filtrées et triturées au feedback sur Nonstop Disco Powerpack ou Tadlock’s Glasses, ces basses étouffant leur fuzz sur Long Burn the Fire, tout nous ramène aux vieilles marmites dans lesquelles les Beastie Boys ont concocté leurs meilleurs potages. « My rhymes age like wine as I get older », scande un MCA en rémission du crabe qui a failli tuer le groupe avec lui, gage d’un album de pur fun enfanté dans la douleur, si bien que “Hot Sauce Committee part one” s’est vu reporter ad uitam aeternam. C’est, en attendant, prêts à en découdre que les trois MC’s rappent pour ne rien dire mais en le disant mieux que personne.

« We gotta party for the motherfuckin’ right to fight », histoire d’affirmer que le spectacle continue et que la déconne est la clé du combat ; retour aussi, évidemment, sur le premier tube du groupe et cette jeunesse entamée il y a un quart de siècle pour persister aujourd’hui en version pied-de-nez au mauvais sort. On a d’ailleurs longtemps cru – ou voulu croire – que “Hot Sauce Committee part two” s’apprêtait à renouer avec le son des débuts, celui de “Check Your Head” en particulier. En réalité, le trio a ratissé plus large dans sa discographie pour proposer un éventail varié mais homogène de son savoir-faire.

Quand les chœurs cybernétiques d’OK semblent faire écho au robot géant d’Intergalactic, Say It sonne comme la suite de So What’cha Want – jusqu’au titre qui pourrait lui répondre. Le duo avec Nas sur Too Many Rappers (New Reactionaries version) a les allures d’un remix très fin de siècle (Fatboy Slim, quelqu’un ?), tandis que la collaboration avec Santigold (Don’t Play a Game That I Can’t Win) ressemble à un hit dancehall avec des rappeurs invités. Réduits à un rôle de figuration, les Beastie Boys signent avec ce morceau un trop long interlude mais s’arrogent le mérite d’une proposition étonnante, tout sauf frileuse à tout le moins.

Pour le reste, Lee Majors Come Again est le traditionnel brûlot punk qui aurait pu trouver sa place sur “Ill Communication”, Funky Donkey n’aurait pas déparé “To the Five Boroughs” et l’instrumental Multilateral Nuclear Disarmament pourrait être une chute de “The Mix-Up”. Cela dit, en fait de toutes les références précitées c’est au gloubi-boulga de “Hello Nasty” que ce huitième album fait le plus souvent penser. Ah oui : et de tous les instruments fétiches que les Beastie Boys ont ressorti de leurs cartons, c’est la cow-bell qui se taille ici la part du lion – au point que le meilleur moment du disque pourrait être ce solo sur Make Some Noise, accaparé d’hilarante façon par Will Ferrell dans le clip susmentionné.

Sans réaliser l’exploit de se renouveler ou de contribuer à la cause des grandes réformes hip-hop – ce pour quoi ils ont largement payé leur tribut lors des deux dernières décennies du siècle passé – Mike D, Ad-Rock et MCA nous font simplement le plaisir, immense en soi, de nous abreuver d’une poignée de nouvelles facéties. Brandissant leurs micros dans une arène faite d’absurdité et d’hédonisme, il remettent un tant soit peu de désordre dans un monde qui se regarde trop sérieusement le nombril. Un sain vandalisme pour une bande de sales gamins de quarante-cinq balais, toujours prêts à crasher les sauteries pète-sec. Comme au bon vieux temps.


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