samedi 4 juin 2011, par
Pour s’enfiler quelque chose d’un peu plus digeste le week-end, revenons sur quelques disques dont on n’a pas trouvé l’occasion de parler en long et en large. Du coup, autant en parler vite et bien, comme ça vous ne pourrez pas dire qu’on ne vous aura pas prévenus... On retrouve cette semaine dix albums 100% féminins, des disques de songwriteuses aux organes aussi voluptueux que leurs ritournelles sont ensorceleuses.
Après “19” ou l’album de la révélation, voici “21” ou celui de la consécration. À 21 ans, faut-il parler de maturité ? Pas forcément, quand on sait combien l’adolescence tend à s’élastifier au fil des générations. De fait, Adele Adkins chante ses déceptions sentimentales avec un franc-parler peu réfléchi et un sens du pathos pas toujours exempt de mièvrerie. Au milieu des roucoulades soporifiques émergent de temps à autre quelques titres très dignes (le tube Rolling in the Deep, la fort belle Someone Like You), portés par un grain de voix indéniablement impressionnant et chargé de soul. À souligner aussi, une reprise sensuelle du Lovesong des Cure. Et comme la petite a eu 22 ans depuis, on se dit qu’elle doit désormais défendre ça avec un vrai savoir-faire d’adulte.
Avec le très bon “Neptune City”, Nicole Atkins avait bâti un pont délicieux entre songwriting classique et tendances nu-soul à la mode du moment. Du moins la mode du moment avait-elle sans doute influencé cette perception. Ne persiste en effet sur “Mondo Amore” qu’un pop-rock féminin de toute bonne facture certes, toujours ancré dans ses racines noires (Cry Cry Cry) et plus particulièrement du côté du blues (My Baby Don’t Lie, You Come to Me), mais sans réel argument pour distancer la concurrence. Ou alors, peut-être cette voix chaude et intense qui embaume le disque d’un parfum d’anachronisme suave (War Is Hell) et lui confère son charme propre, un organe au coffre surpuissant qu’un titre comme Vultures met efficacement en évidence.
Le premier album d’Erika M. Anderson révèle d’abord une créature en flottaison, le chant d’une nymphe lo-fi qui rivalise de grâce vénéneuse avec Bat for Lashes avant de démasquer ses intentions noisy, et montrer son vrai visage de tête brûlée, entre Kim Deal et Kim Gordon. Le problème c’est qu’en sept minutes géniales, Grey Ship a déjà tout dit de sa schizophrénie, et que le reste de l’album tente vainement de reproduire ce coup d’éclat. La morgue garage de California ou Milkman réédite vaguement l’exploit, Breakfast sonne comme une ballade alternative en droite ligne des nineties, quand Red Star tend davantage à s’enfoncer dans ce type d’hommage trop appuyé. En fin de compte on se retrouve donc avec un de ces coups d’essais bancals d’une artiste à suivre néanmoins de fort près.
Voilà près de vingt ans déjà que Heather Nova, pourtant belle comme au premier jour, fait retentir son chant de sirène des Bermudes, laissant vibrer son organe cristallin au diapason de ses mélodies limpides. Capable à ses débuts d’exprimer la noire violence des passions, elle a emprunté par la suite des voies pop-rock douteuses avant de revenir, fort heureusement, à ses racines acoustiques. Las ! “300 Days at Sea” la voit emprunter une fois de plus les canaux et les canons d’une certaine mièvrerie post-adolescente, tout attifée de ses trousseaux FM. Au moment de se demander ce qui nous l’a rendue si proche depuis si longtemps, on entend soudain cette voix à qui l’on pardonnerait tout, mise en valeur par des arrangements plus dignes (Everything Changes). Moments trop rares d’un parcours bien erratique...
Soyons franc : on attendait davantage de Jesca Hoop que ce mini-album de six titres dépouillés. Sur “Hunting My Dress”, la belle Californienne excellait dans le registre d’une pop baroque proprement aérienne, stimulée à l’époque par la fréquentation assidue de gens aussi peu attachés au plancher des vaches que les gars d’Elbow. Or si “Snowglobe” offre ici ou là quelques bienvenues capsules de beauté dans ce monde intransigeant, on reste un peu désarçonné par la sobriété des arrangements. Évidemment, on ne peut que craquer quand la chanteuse s’essaye au français (Rêves dans le Creux) ou qu’elle emmène à tout le moins sa voix dans les nuages (City Bird), mais on n’en ressort pas moins avec l’impression que le présent disque s’aborde comme une parenthèse avant retour plus convaincant.
Le succès surprise d’Agnes Obel, à qui nous avions ici même déclaré notre flamme, autorise désormais d’autres douces Scandinaves à pianoter avec grâce sans s’interdire de viser la gloire. Disons plutôt que les décideurs ont jugé opportun d’orner aujourd’hui les Fnac d’un troisième album sorti il y a deux ans dans sa Norvège natale, jugeant sans doute sa joliesse dans l’air du temps. Avec une voix passe-partout (on pense parfois à... Alanis Morissette) et de belles compositions d’ivoire et d’ébène bien agrémentées (des cordes et/ou des cuivres à peu près partout), Rebekka Karijord pond des perles sans sortir du lot. Pourtant quand, sur la plage titulaire, elle ne s’entoure d’aucun artifice, son « art noble du lâcher prise » devient réellement émouvant.
De la pop ultra-mélodique en provenance du... Danemark, ben tiens. Il y a là, à l’évidence, de quoi ravir les inconditionnels d’Émilie Simon et autres Alice Lewis, avec en outre une touche typiquement scandinave dans cette façon de rendre sucré le moindre élan d’amertume. Parfois on se dit que ce n’est pas bien profond (Sun of a Gun), exécuté avec un trop-plein de légèreté (White Nights), d’autant que Nanna Øland Fabricius flirte occasionnellement avec le disco synthétique (We Turn It Up, Voodoo). Mais lorsqu’elle ralentit le tempo, la Danoise dévoile un univers plutôt fascinant et à la féerie contagieuse, entre transe ensorcelante (Break the Chain, Wolf & I) et confiserie cinégénique (Helicopter, Lean), jusqu’à toucher une certaine Perfection. Dans son genre, de la belle ouvrage.
Tout récemment, Marc vous disait combien il avait été conquis par les charmes live de cette Lituanienne ultra douée, surfant elle aussi sur la vague décochée par Agnes Obel mais défendant néanmoins un répertoire des plus personnels. Encore une fois ce deuxième album ne date pas d’hier mais s’est permis, pour des raisons d’affinités géographiques, d’échapper à notre vigilance – alors qu’on avait, en son temps, fort apprécié son prédécesseur. Erreur réparée de superbe manière, au gré d’écoutes toujours plus religieuses : les chansons d’Alina Orlova, le plus souvent chantées dans son idiome slave, possèdent la clé d’un Empirée loin de Babel, celui-là même que Tori Amos avait foulé à ses débuts. On s’y épanche le poil frémissant, incapable de chanter avec elle (Лихорадка), et c’est très bien comme ça.
Curieux objet, en vérité, que cet album réservé au marché des antipodes, et où l’ex-chanteuse des Dresden Dolls livre un brûlant hommage au Commonwealth océanien, entre extraits de concerts décousus et nouveautés studio. Une chanson s’appelle Australia, une autre New Zealand, histoire de ne froisser personne sinon le fan européen qui doit se procurer le disque en import et à prix d’or. Il y découvre alors la facette la plus drôle de l’artiste, qui égratigne gentiment les us et coutumes de là-bas sur le mode de la private joke nationale. C’est souvent communicatif, presque entièrement acoustique, mais surtout parfaitement hétéroclite. On retiendra pourtant avant toute chose le talent indéfectible d’une femme à poigne, s’affirmant de plus en plus comme le pendant féminin d’un Ben Folds.
On avait fait connaissance avec la Suissesse sous le surnom de Lole, et un précédent album un rien trop sec mais qui contenait déjà de jolies promesses. On ne soupçonnait pourtant pas qu’Olivia Pedroli, assumant désormais son patronyme, reviendrait avec un disque aussi abouti. Assurant un chant voltigeur très proche de Shara Worden, elle se révèle purement enchanteresse lorsqu’elle déploie les arrangements mirifiques – inégalable Valgeir Sigurðsson – qui font de “The Den” une si brillante réussite : cuivres lourds de sens (To Be You, I Play), cordes orageuses (A Path, House), textures sonores tout en tension (Bow, Raise Erase). Il y a aussi The Day, valse triste comme la chute des feuilles, et l’immense Silent Emily qui clôt l’album en neuf minutes de beauté suffocante. Sublime.
Il est des groupes qu’on écoute encore et pour lesquels on se demande pourquoi on s’inflige ça, déception après inintérêt. Le cas des Tindersticks est un peu différent. Si on ne peut pas prétendre avoir à chaque fois succombé aux charmes d’un album fantastique, il y avait toujours des raisons d’y revenir, de ne pas lâcher l’affaire après 30 (gasp...) années de fréquentation.
Cet album ne (…)
La nature a horreur du vide, l’industrie musicale encore plus. C’est donc une volonté de la maison de disques de propulser le crooner crépusculaire australien au sommet, déserté par des gens comme Leonard Cohen ou David Bowie pour d’évidentes raisons de décès. Et il semble que ça marche, cette sortie est précédée d’un abondant tam-tam. Pour le reste, c’est aussi la connivence qui va jouer. (…)
Un piano, une voix, voilà ce qui constitue le gros de ce premier album de l’Italien Michele Ducci. Mais il ne fait pas s’y tromper, celui qui était la moitié du groupe electro-pop M+A offre sur cette base un bel album d’une richesse réelle. Et surtout, on capte au passage quelques fort beaux morceaux.
Notre préférence va sans doute à la simplicité de River qui frappe juste, ou alors au sol (…)
Si après 15 années de Beak> et 5 albums, Geoff Barrow est toujours considéré comme ’le mec de Portishead’, que dire de Beth Gibbons qui s’est effacée de la vie publique depuis tant d’années ? Cette sortie a donc autant surpris qu’enchanté.
Fort heureusement, musicalement, ce Lives Outgrown ne tente pas de souffler sur les braises du trip-hop. Et c’est intentionnel. Le résultat est donc moins (…)