samedi 11 juin 2011, par
Pour s’enfiler quelque chose d’un peu plus digeste le week-end, revenons sur quelques disques dont on n’a pas trouvé l’occasion de parler en long et en large. Du coup, autant en parler vite et bien, comme ça vous ne pourrez pas dire qu’on ne vous aura pas prévenus... Après avoir laissé l’honneur aux dames, c’est au tour de ces messieurs de s’exprimer, songwriters qui ont étudié la mélodie deuxième langue et fait de l’économie de moyens leur credo.
Les albums de Gus Black se suivent régulièrement, se ressemblent généralement et visent l’excellence... systématiquement. Pas vraiment homme à sortir l’artillerie lourde, Black privilégie les armes de poing pour faire mouche en plein estomac : guitare desséchée, batterie réduite à l’essentiel, il n’en faut guère plus pour défendre des compositions qui, à l’heure du quatrième effort, comptent parmi ses meilleures (Fall Into You, Something Can Be). Les arrangements s’étoffent ensuite sur la deuxième moitié de l’album et le résultat n’en est que plus bouleversant (No Love in Vain, The World Is on Fire). Sans doute déjà un des grands disques invisibles de l’année, “The Day I Realized...” est une œuvre au noir qui mériterait bien davantage de lumière.
C’est l’histoire d’un des plus beaux gâchis de ces dix dernières années. On n’a jamais compris comment Ben Christophers, avec ses chansons de démon repenti, sa voix glaçante et ses talents d’arrangeur cosmique, s’est retrouvé réduit à refourguer sa musique à la sauvette. On n’avait plus eu de ses nouvelles depuis 2005, quand bien même son implication sur les albums de Bat for Lashes et sa collaboration avec Françoise Hardy ne sont pas passées inaperçues. Sorti l’an dernier, ce disque de sept titres – aussi connu sous le nom de “US Mini Album” – a cependant vu le Londonien revenir aux affaires avec un savoir-faire inentamé pour créer des univers sonores inquiétants (Circle) et flanquer la chair de poule (Nobody Knows). De quoi perpétuer le culte que lui vouent de trop rares fidèles.
Franchement, je n’avais de Thomas Dybdahl, barde norvégien très imparfaitement distribué dans nos régions, qu’une connaissance fort parcellaire. Si c’est aussi votre cas, n’hésitez pas à découvrir ce large panel de chansons équitablement puisées dans ses cinq albums. Comme l’art et la manière n’ont jamais dévié de leur modèle americana dénudé, la cohérence de l’ensemble permet de l’écouter d’une seule traite, tel un album de près d’une heure. Les compositions rivalisent de raffinement – avec une mention particulière pour les extraits de “Science” – et, si l’on ne peut pas forcément parler de folk, le disque avait toute sa place dans une séance de rattrapage, pour la façon sobre mais très classe dont Thomas Dybdahl incarne une certaine grâce toute norvégienne – on va y revenir.
On avait laissé le Californien en mode country-folk aride sur “Catacombs”, et on trouvait vraiment que le job lui allait à merveille. À l’entame de “Wit’s End”, on le retrouve moite, en pleine flânerie nocturne dans les périphéries (County Line) : une variation sur la blue eyed soul des années 80, à laquelle ne manque qu’un solo de saxophone. Pour le reste, on entend beaucoup de très jolies choses ici, des ballades aux relents lennoniens (Memory’s Stain), des complaintes de lendemains de veille (Saturday Song), avec pour constante un tempo qui ne s’emballe à aucun moment de ces trois quarts d’heure d’aveux intimes. Alors oui, sur certains morceaux on reste subjugué par l’indéniable talent du bonhomme, mais la lenteur de l’ensemble fait parfois aussi, disons-le, trouver le temps long.
Si Sonic Youth n’a pas intéressé grand-monde avec sa récente bande originale pour “Simon Werner a disparu”, c’est en solo que l’empereur de la distorsion Thurston Moore se distingue cette année avec un disque... totalement acoustique. Évidemment, inutile de tenter de se raccrocher aux traditionnels canons de la beauté nue, cette pureté artificielle qui réduit la vie à un mur lisse. Ici la beauté est orageuse (les sept minutes étourdissantes d’Orchard Street) et les aspérités rugueuses (la suffocante Circulation). Trouvant dans le violoncelle de la formidable Samara Lubelski un écho à ses appels désespérés (In Silver Rain with a Paper Key) et, dans la production déchiquetée de Beck, un écrin de lumière bricolée (Space), Moore signe un petit bijou de noise-folk qui entraîne sa carrière vers de nouveaux sommets.
Des années après un “Time Without Consequence” épuré au point qu’on aurait pu le croire simpliste, le songwriter écossais revient finalement avec un amour de disque où son finger-picking délicat et sa voix caverneuse se posent sur des textures tellement proches de la nature (Crinan Wood) qu’elles semblent vouloir imiter son silence – ne seraient, du moins, les cuivres moins discrets d’At My Door. Quasi impossible de ne pas penser à Nick Drake, cette statue du commandeur à qui on voudrait comparer tous les folkeux un peu dépressifs – ou déprimants ? Through the Dark est en tout cas un trop bel exemple de mélancolie décantée pour nier la filiation. La figure du père étant elle-même au cœur de Some Day Soon, morceau le plus céleste de cet album somptueux.
Yann Tambour, ancien cœur d’Encre, poursuit avec Stranded Horse – qui a perdu son « Thee » entre deux albums – l’exploration hypnotique de la kora comme instrument d’accès à l’Empirée musical. Le folk totalement acoustique du projet, avec Tambour mais sans percussions, accompagné sur un titre du mentor Ballaké Sissoko et de rares autres instruments ailleurs, rend autant hommage à la culture ouest-africaine qu’aux idoles du rock (superbe reprise des Smiths), s’adresse autant à l’intime qu’aux grands espaces. En français ou en anglais marqué par l’accent continental, tout est beau à couper le souffle et les quatre dernières minutes de Halos, en particulier, constituent encore à ce jour la plus puissante expérience émotionnelle de 2011. Rien que d’y repenser...
Auteur-compositeur doué, John Vanderslice avait habitué les amateurs à son art ciselé, filant dans son sillage une belle poignée d’albums qui n’ont pu laisser indifférents les fans de Josh Ritter ou Sondre Lerche – pour situer. Cela dit, rien ne permettait de nous préparer à la claque que constitue “White Wilderness”, enregistré en trois jours à San Francisco avec le Magik*Magik Orchestra ; un fabuleux recueil de compositions chiadées, pratiquant l’art noble du storytelling à l’américaine sur fond d’arrangements au rasoir. À peine plus d’une demi-heure d’une netteté digne des meilleurs Radio Dept. (Convict Lake, The Piano Lesson), d’émotion ininterrompue (White Wilderness, 20 K), capable de bouleverser dans la sophistication (Sea Salt) comme dans le dépouillement (After It Ends). Gros coup de cœur.
Il manque un tout petit quelque chose à l’ex-War on Drugs pour être génial, et on a compris quoi. Sur ce déjà quatrième album, Kurt Vile tient clairement le bon bout dans ses humeurs les plus apaisées, dosettes de psychédélisme distillé qui détiennent le secret de l’apesanteur (Baby’s Arms, Peeping Tomboy) quand elles ne découvrent pas la formule d’un classic rock passionnant (Smoke Ring for My Halo, On Tour). Dès lors, les défauts apparaissent désormais dans une limpide évidence : quand l’Américain allume la boîte à rythmes (In MyTime, Jesus Fever), il sonne comme un Tom Petty fauché ; à coups de riffs radoteurs (Puppet to the Man), on dirait ni plus ni moins que John Cougar Mellencamp dans un tunnel. Pour le prochain album, les attentes sont donc simples : que Kurt Vile débranche l’électricité.
Ah, la Norvège. Nouvelle terre d’élection pour les doux folkeux qui, loin des clichés métalleux généralement associés à cette rude contrée, bercent les cœurs gelés au rythme du flot des rivières. Béni par une voix troublante qui rappelle immanquablement Damien Rice, le très talentueux Leif Vollebekk en fait usage de façon nettement moins démonstrative et sur des mélodies généralement moins plombées, entre ballades minérales (Michael Robartes & the Dancer, Quebec) et moments plus enlevés (Northernmost Eva Maria), même si le ton est parfois à l’élégie (Don’t Go to Klaksvik) ou à la pure contemplation (1921, beau comme un glacier). Quand en outre il se met aux confessions en français (You Couldn’t Lie to Me in Paris), Vollebekk achève de toucher au sublime.
Et un bonus pour la route...
Autre compile, pour un artiste essentiel cette fois. On se remet à peine du disque d’ambient folk co-signé avec Jon Hopkins qu’on a en outre le privilège de saisir un plus large aperçu du répertoire de Kenny Anderson. Sont entre autres compilés sur “Thrawn” des extraits des magnifiques “KC Rules OK”, “Bombshell” ou “Flick the Vs.”, mais aussi des choses plus rares pour satisfaire ceux qui adulent les enregistrements précités sans avoir eu l’occasion de remonter plus avant la rivière sans fin de sa discographie. On peut ainsi découvrir deux titres de “Chorlton and the Wh’earlies”, album inconnu au bataillon mais qui contient manifestement son lot de perles. Évidemment la sélection est discutable, peu homogène, et fait l’impasse sur nos plus grandes émotions intimes. Elle n’en reste pas moins irréprochable.
Il est des groupes qu’on écoute encore et pour lesquels on se demande pourquoi on s’inflige ça, déception après inintérêt. Le cas des Tindersticks est un peu différent. Si on ne peut pas prétendre avoir à chaque fois succombé aux charmes d’un album fantastique, il y avait toujours des raisons d’y revenir, de ne pas lâcher l’affaire après 30 (gasp...) années de fréquentation.
Cet album ne (…)
La nature a horreur du vide, l’industrie musicale encore plus. C’est donc une volonté de la maison de disques de propulser le crooner crépusculaire australien au sommet, déserté par des gens comme Leonard Cohen ou David Bowie pour d’évidentes raisons de décès. Et il semble que ça marche, cette sortie est précédée d’un abondant tam-tam. Pour le reste, c’est aussi la connivence qui va jouer. (…)
Un piano, une voix, voilà ce qui constitue le gros de ce premier album de l’Italien Michele Ducci. Mais il ne fait pas s’y tromper, celui qui était la moitié du groupe electro-pop M+A offre sur cette base un bel album d’une richesse réelle. Et surtout, on capte au passage quelques fort beaux morceaux.
Notre préférence va sans doute à la simplicité de River qui frappe juste, ou alors au sol (…)
Si après 15 années de Beak> et 5 albums, Geoff Barrow est toujours considéré comme ’le mec de Portishead’, que dire de Beth Gibbons qui s’est effacée de la vie publique depuis tant d’années ? Cette sortie a donc autant surpris qu’enchanté.
Fort heureusement, musicalement, ce Lives Outgrown ne tente pas de souffler sur les braises du trip-hop. Et c’est intentionnel. Le résultat est donc moins (…)