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En vacances, j’ai écouté... (7) de la britpop

samedi 22 octobre 2011, par Laurent


Ben oui, les vacances sont les vacances : ça donne beaucoup de temps pour piquer un plongeon dans la musique, mais pas trop l’envie d’en parler. Du coup, autant revenir sur quelques disques écoutés à l’ombre des cocotiers et dont, qui sait, vous me direz des nouvelles... Et voilà qu’on referme cette fructueuse série avec dix albums britons qui font un pied-de-nez aux clichés du rock de pub, globalement allégés en préoccupations socio-économiques mais pas pauvres en énergie.


Brett Anderson – Black Rainbows

La pochette, le titre... on sentait que Brett Anderson allait à nouveau nous charmer avec cette mélancolie pastorale où il excelle depuis deux albums. Mais non : reformation de Suede oblige – les vieilles gloires britpop plancheraient même sur un nouveau disque après dix ans – leur excessif leader prépare le terrain et s’entraîne à retrouver un peu du lustre et du panache d’autrefois. Son organe habité, toujours prêt à en faire des caisses, se laisse donc porter par des mélodies qui visent les radios (Crash About to Happen), des arrangements chiadés (This Must Be Where It Ends), et quelques vrais moments de rock dedans (The Exiles, Thin Men Dancing). Anderson, qui a connu dans le passé une mauvaise série (le dernier Suede, les mort-nés Tears et son premier solo), devrait laisser tomber le rock : il a passé l’âge.


Blood Orange – Coastal Grooves

On a totalement été emballé par le Devonte Hynes qui, sous la bannière Lightspeed Champion, nous a offert deux jolis albums de blues bucolique. Mais souhaitant se réinventer une fois de plus – l’homme a aussi embrasé les chansons sulfureuses de Test Icicles – il place son retour sous des auspices post-punk et reprend à son compte certains des codes propres à Television et autres Banshees. Ça donne un ratissage plutôt réussi du Hong Kong Garden, avec d’agréables chinoiseries en guise de riffs (Sutphin Boulevard, I’m Sorry We Lied) mais aussi les grooves annoncés dans le titre (S’Cooled) et au moins un refrain irrésistible (Forget It). Globalement enthousiasmant, bien qu’ici encore on a franchement tendance à regretter l’ancienne manière, nettement moins impersonnelle.


Alex Clare – Up All Night

Des rythmiques 2-step et des gens qui explorent leur âme dessus, en veux-tu en voilà, ce n’est pas ce qui aura manqué cette année. On sent toutefois qu’Alex Clare bâtit ses chansons sur des structures pop plus classiques. Preuve en est sa reprise, sans génie ni opprobre, du When Doves Cry de Prince, ou la version piano du ravissant Treading Water. Peu enclin au schématisme, Alex Clare sait donc sortir de son créneau : Hands Are Clever repose ainsi sur des arrangements funk-soul plus conventionnels, quitte à sonner comme Sinclair, et Whispering ou Up All Night ressemblent plus à du rock mâtiné d’électro que l’inverse. Au final, les sonorités synthétiques apparaissent ici comme des artifices d’emballage, venus rehausser quelques franches réussites (Relax My Beloved, Humming Bird). Pas mauvais du tout.


Crookes – Chasing After Ghosts

Évidemment, intituler son album “Chasing After Ghosts” est le genre de perche qu’on tend comme le bâton pour se faire battre. Car si les Crookes courent après des fantômes, ce sont visiblement les glorieux modèles qu’ils se donnent tant de mal à imiter. En l’occurrence, un peu de Marc Almond sur I Remember Moonlight, les Dexy’s Midnight Runners sur Godless Girl et partout ailleurs, les Smiths, Morrissey, les Dears pompant Morrissey, Gene pompant les Smiths, et encore les Smiths ! C’est peu dire qu’au bout de quelques chansons, ça en devient embarrassant. Si par moment, on sent l’admiration sincère (Chorus of Fools, The Crookes Laundry Murder 1922), on finit très vite par s’ennuyer sur cet album auquel manque cruellement le souffle de ses fantômes. « Stop me if you think you’ve heard this one before. »


Baxter Dury – Happy Soup

Comme on lit énormément de bons échos du troisième album de Baxter Dury, pas plus convaincant que ça après trois écoutes l’été dernier, forcément on retente le coup. Et là, c’est pas qu’on est davantage conquis, mais on comprend mieux. Car on sait combien certains mélomanes aiment à se gargariser de rock cheap, nonchalant en façade malgré l’évidence mélodique qui suggère un vrai travail en amont. Et le fils de Ian Dury sait y faire en matière de hits minimalistes, en air de pas y toucher. Sans avoir le génie d’un Stephen Malkmus dans ce domaine, il faut lui reconnaître un don certain pour trousser de bons morceaux enguenillés, chantés en bâillant (Afternoon) ou en attendant le bus (Leak at the Disco). Le côté fauché, façon vieux Dominique A, n’attend qu’à trouver son public. On est là pour ça.


Hard Fi – Killer Sounds

Sons qui tuent ? C’est vous qui le dites... Si le premier Hard Fi était en effet une petite tuerie joyeusement punk, le groupe confirme ici sa réorientation dans la filière hymnes de stade. Jon Fratelli et les Kaiser Chiefs ont récemment sorti leurs nouveaux albums. Et alors ? Rien, tout le monde s’en fout comme de sa première Guinness. Du coup, pourquoi s’intéresser davantage à ces zigotos-ci ? D’abord, parce qu’ils jouent une catégorie au-dessus et qu’il n’y a, sur “Killer Sounds”, que des tubes (Good for Nothing, Love Story). Seulement, excepté peut-être Sweat ou Feels Good, les choix de production sont d’un goût indéfendable. À titre de comparaison, c’est aussi hors propos que l’entrée des Clash dans les années 80. En 2011, certains sons peuvent, à défaut d’être meurtriers, s’avérer plutôt consternants.


The Kooks – Junk of the Heart

Adulés à l’heure de l’inaugural “Inside In / Inside Out”, les Kooks ont loupé le train du difficile deuxième album : resucée sans imagination, le piètre “Konk” a vite fait retomber le soufflé. C’est la raison pour laquelle ce troisième essai est bien parti pour se faire bouder... et bien injustement ! Assez réussi, “Junk of the Heart” témoigne d’une évolution en douceur pour Luke Pritchard et ses acolytes : mélodiques et bien charpentées, les chansons ne révolutionnent rien mais possèdent tous les ingrédients d’un pop-rock anglais savoureux, frais, kinksien, faisant leur possible pour ne pas franchir trop souvent la barre des trois minutes. Des tubes Happy et Rosie à l’ambiance reggae de Runaway, en passant par quelques ballades rouées (Taking Pictures of You, Petulia), le mot d’ordre est lâché : plaisir.


Little Barrie – King of the Waves

Un riff incendiaire, une basse qui gronde, une batterie chargée : chez Little Barrie, on prend le rock au sérieux. Mais alors que la presse anglaise, jamais à une ânerie près, entend ici le disque de la consécration pour le power trio, il paraît difficile d’y entendre autre chose qu’un recueil ultra-passéiste, une somme d’influences savamment opérée et adroitement exécutée, mais sans le moindre soupçon de personnalité. How Come emprunte aux codes mods, Now We’re Nowhere doit tout à Deep Purple, et le refrain de Does the Halo Rust est le truc le plus interchangeable entendu depuis... euh... le dernier Oasis ? Tout ça est relativement sympathique, mais la coupe finit par déborder avec Precious Pressure, dont la dernière minute rend un hommage un peu trop appuyé à Led Zeppelin. Allez, au suivant.


Ed Sheeran – No.5 Collaborations Project

Étrange croisement entre Tom McRae et Ron Weasley, le tout jeune Ed Sheeran publie des EP’s confidentiels et tourne comme un damné depuis plusieurs années. Sa cinquième sortie autoproduite est ce mini-album où son chant sucré croise le chemin de quelques pointures du grime briton, dans les rangs desquelles on retrouve Sway, Wiley ou encore Devlin. Hésitant lui-même entre roucoulades et ragga blanc plutôt crédible, Sheeran est béni ici par un travail de réalisation sonore aux petits oignons. C’est à la fois funky en diable (Lately), délicieusement sombre (Family), extrêmement pop (Radio) et hypersensible (Little Lady, variation soufflante sur le tube The A Team qui l’a fait connaître en fin d’année dernière). Reste le bémol : des moments un peu mièvres qui ont pu faire craindre le passage au long format...


Ed Sheeran – +

… et ce long format, donc, le voici avec “+”, considéré comme le debut album d’un artiste déjà bien rodé. The A Team revient encore une fois en ouverture, annonçant la couleur et le talent d’un gamin fichtrement doué pour le storytelling, capable de pondre des trucs groovy comme le Michael Jackson de “Dangerous” (The City), au sens du rythme parfois aussi démentiel que ses mots sont cinglants (Grade 8). Sur l’excellent You Need Me I Don’t Need You, Ed Sheeran rappe de façon convaincante et son name-dropping inclut Damien Rice, héros manifeste si l’on en juge par des titres tels que This ou Give Me Love. Enfant de son temps, Sheeran est le songwriter 2.0 par excellence, et même si son côté parfois trop mielleux peut jouer les repoussoirs (Wake Me Up), ses chansons finissent par convaincre qu’il est là pour durer.


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3 Messages

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