Accueil > Critiques > 2011

Coeur De Pirate - Blonde

vendredi 18 novembre 2011, par marc

Danse et danse


Le phénomène est rare et précieux. On découvre un artiste au gré d’une lecture habituelle (The Man Of Rennes) et puis on sent tout de suite qu’on est dans les prémices d’un succès garanti, qu’il y a de la place pour cette personnalité-là. Alors on va vérifier en concert le bien qu’on en pense, en étant conscient qu’on se situe à l’exact moment de basculement de notre univers musical intime vers une diffusion plus large largement méritée mais qui aussi renvoie un peu de nostalgie. Découvrir le premier album de Cœur de Pirate avant sa sortie européenne, c’était ça. Depuis, on l’a entendue partout, on a donné parfois notre avis, on ne s’est pas renié, certes, mais, habitués qu’on est à écouter ce que peu de gens ne connaissent, rompu à l’exercice de l’embarras de répondre à une question comme « et toi, t’écoutes quoi ? », Béatrice Martin nous a mis dans une situation inhabituelle.

Un second album amène toujours une pointe d’appréhension. Le premier album semblait tellement bâti sur cet enthousiasme juvénile qui s’exprimait paradoxalement dans une noirceur mal cachée qu’il semblait difficile de rééditer la performance, encore compliquée par la conjonction de la jeunesse (elle n’a que 22 ans) et de la célébrité. Les mêmes angles de vue des photos de pochettes permettent d’ailleurs de comparer plus frontalement un contre-jour un peu négligé et une image retouchée à l’extrême et rehaussée de motifs géométriques qui font craindre le formatage.

Il fallait planter le décor, mais Béatrice a vite fait de balayer les appréhensions. Si le faiblard Voilà Les Anges avait déçu, le single annonciateur Adieu nous avait mis dans de bien meilleures dispositions. On le découvre d’ailleurs bien vite sur cet album, tout de suite après la très dispensable et un brin énervante chorale qui ouvre le bal.

La production a été en partie réalisée par Howard Bilerman, qui fait partie de la classe mondiale. On ne résiste pas au plaisir de la petite liste de noms qu’il a produits, pour la simple évocation d’artistes (majoritairement canadiens) qu’on apprécie particulièrement : Arcade Fire (la batterie de Funeral, c’est en partie lui…), Wolf parade, Godspeed You Black Emperor, Silver Mt Zion, Vic Chestnutt, The Dears, Bell Orchestre, ou Basia Bulat. Cette présence n’est pas pourtant pas écrasante, et ils ont choisi de teinter cet album de colorations pop sixties, ce qui correspond bien aux inclinations mutines de la voix de Béatrice Martin et avait déjà été tenté avec succès sur le premier album (Pour un Infidèle, ce genre). L’emploi systématique d’un style plus pop rend cet album moins intime que le premier, mais si Golden Baby, Verseau ou Ava ne sont pas renversants, ils se fondent dans le décor sans problème.

Cette coloration permet au charme d’opérer encore, et laisse pas mal de ses qualités s’exprimer. Un sens mélodique toujours acéré (Les Amours Dévouées, La Petite Mort) par exemple, et une concision qui ne permet aucun temps mort, aucune digression inutile. Lors de son premier passage en notre petit royaume il y a deux ans et demi, on avait déjà eu droit à Place De La République et on avait beaucoup aimé ça. Se morceau reste dans un registre piano-voix qu’on avait tant aimé (et bien moins présent ici) mais prend de l’ampleur sans devenir trop pompier ou ampoulé. Une vraie grande réussite.

Il y a de la place pour elle dans la chanson française, parce que finalement, il n’y a pas beaucoup d’artistes qui croquent avec talent et simplicité des sentiments finalement très universels sans surjouer la lolita ou la torturée On peut simplement se demander comment on peut avoir connu autant de ruptures à 22 ans ? Comment être déjà imprégnée des sentiments d’inéluctable, de ‘trop tard’ ? Cette matière est de toute façon inépuisable et on capte les piques de Tu dis que ‘I’m the only one’/C’est ça, prends moi pour une conne dans Danse et Danse.

Cœur de Pirate en 2009, c’était une chanteuse venue de nulle part, ou plutôt de contrées dont j’ai toujours préféré les représentants anglophones. Deux ans et demi plus tard, c’est une artiste sure de ses talents et de ses moyens qui nous revient. En réussissant à donner une coloration différente sans se renier, Coeur de Pirate nous prévient qu’on ne se débarrassera pas d’elle comme ça. Ca tombe bien, Béatrice était déjà une amie.

http://www.myspace.com/coeurdepirate
http://www.coeurdepirate.com

    Article Ecrit par marc

Répondre à cet article

1 Message

  • Coeur De Pirate - Blonde 20 novembre 2011 22:12, par Hervius

    Musicalement rien d’exeptionnel, mais ton ton petit brin de voix en francais me touche suffisamment pour te rejoindre bientôt en concert sur Rouen...

    repondre message

  • Jeanne Cherhal - Jeanne

    Jeanne Cherhal est une chanteuse moderne. Elle n’a en tous cas jamais reculé devant la dualité entre chansons d’amour et chansons sur la condition féminine, on ne décèle ici aucune déviation de sa trajectoire en la matière. Paradoxalement, c’est le conseil mal informé d’un exécutif de maison de disque qui lui a suggéré que ça pourrait être pas mal, pour elle, d’écrire des chansons féministes (…)

  • Nicolas Jules – Rock ’n Roll Marabout

    “Un disque de rock’n’roll en solo. Tout comme le chanteur sur la pochette n’est pas Chuck Berry, l’oiseau n’est pas un marabout mais un jabiru d’Amérique.”
    Même la lacunaire introduction est du Nicolas Jules pur jus, ça ne change pas. Ce qui change, et c’est une excellente nouvelle c’est que ses albums sont disponibles sur Bandcamp, qui reste une façon efficace de soutenir les artistes et (…)

  • Albin de la Simone - mes battements/Toi Là-Bas

    Normalement, on se concentre exclusivement sur l’aspect musical des choses. Même les musiques de film, série ou danse sont vues pas le simple prisme auditif. On va faire une exception ici parce qu’on l’a lu, Mes Battements d’Albin de la Simone. Et on a bien fait tant c’est un bonheur de sincérité et d’humour. Ce sont des anecdotes, un peu, des histoires courtes, des instantanés écrits et (…)

  • The Imaginary Suitcase – A Chaotic Routine (EP)

    Oui, les choses changent, même pour les compagnons musicaux de longue date. Et même après une dizaine d’oeuvres relatées ici, on constate ce changement dès la pochette. On passera sur le changement de police de caractère pour se concentrer sur les visages, présents pour la première fois. Et puis constater que Laurent Leemans n’est plus seul à bord, même si les autres noms ne sont pas (…)