lundi 6 novembre 2017, par
A la rencontre d’une fée
Radieuses déesses ou sorcières confectionneuses de philtres, elles n’ont pas un rang déterminé dans l’échelle des êtres possesseurs de pouvoirs surnaturels, mortelles ou immortelles, elles appartiennent parfois à notre monde ou viennent de terres enchantées.
Harf-Lancner (L.) Les fées au Moyen Age. Morgane et Mélusine. La naissance des fées. Paris,1994.
Nous sommes en 2006, la fadeur et le manque d’audace des programmations musicales n’étant hélas pas l’apanage des temps modernes, c’est par Vox, le podcast de Jérôme Colin qu’on découvre Having, le troisième album de Trespassers William et qu’on est confronté pour la première fois à la voix d’ Anna-Lynne Williams, une gifle magistrale sortie tout droit des petits baffles du PC dont l’émotion perdure encore…
Alors on s’intéresse à l’histoire du groupe, on apprend qu’il s’est formé en 1997 en Californie, puis qu’il a migré à Seattle où il s’est dissout en 2012… On apprend aussi qu’Anna-Lynne, sous le pseudo de Lotte Kestner, (un nom qui devrait parler à tous ceux qui eurent un jour le bon goût de lire Goethe), brille dans diverses disciplines... la composition, les collaborations, notamment avec Chemical Brothers, l’écriture de poèmes, la confection de covers renversantes, la création du duo Ormonde avec Robert Gomez (l’album Cartographer/Explorer avait fait notre bonheur en 2014)…. Il lui arrive d’être actrice aussi.
Néanmoins, la vie a horreur des lignes droites, et l’humanité a beau fantasmer sur le concept de l’agencement rectiligne, force est de constater que les parcours linéaires n’existent pas dans la vraie vie, celle-ci ne songe qu’à triturer les droites, c’est son obsession, elle y arrive toujours, elle en choisit même le moment, sans crier gare… Et c’est comme ça que, depuis quelques années, Anna-Lynne souffre le martyre dès que ses poignets osent un accord de guitare, comme beaucoup de problèmes médicaux, ce fut autant brutal qu’inattendu.
C’est vrai qu’on éprouve spontanément le besoin de s’apitoyer, de la protéger, c’est humain... Jusqu’à ce qu’on se rende compte que dans l’histoire, c’est elle qui interprétait le rôle de l’être fort.
Après s’être un bref instant résignée, elle a rebondi, tout en courage et humilité, à force de volonté et de chansons...Parce que c’est le propre des créateurs de parvenir à colmater les fissures de la vie. Et s’ils subissent au même titre que nous les affres du sort, ils parviennent à les sublimer en les transformant en produits finis, assimilables… In fine ça nous aide à graver des mots sur nos propres désarrois, les rendant en cela moins intolérables… rien que pour ça, on ne remerciera jamais assez les artistes.
Off White, c’est une histoire tout en honnêteté et en retenue, parsemée de douleurs physiques et morales, de déménagements incessants, de prises de sons improbables dans des soupentes obscures, soumises aux craquements capricieux des charpentes en bois, lorsque, enfin, tard dans la nuit, les voisins consentent à faire silence.
Off White, c’est quatre années de la vie d’une femme, un assemblage de petits bouts de temps capturés au gré d’accès de souffrances et de joies, l’album a néanmoins un fil conducteur, celui d’une intimité nimbée de pudeur, liée au choix des endroits d’enregistrements et au matériel ultra minimaliste qui y fut déployé. Le fil peut paraître ténu, mais il s’avère solide et résistant car l’album n’est pas dénué de reliefs, il est même peuplé de disparités… Le petit piano cède parfois la place à la guitare, de très belles envolées de cordes (Andrew Joslyn) s’invitent à l’occasion, ainsi que, le temps d’un titre, une inaccoutumée section rythmique (Adrian Van Batenberg, Christopher Merill), bref, Off White, c’est comme un patchwork tissé de bouts de tissus récoltés au long de cette dernière demi-décennie… Il est constitué d’étoffes diverses, certes, mais toutes sont cousues par l’indéniable talent d’un personnage qu’on sent à la fois combatif, introspectif et réservé.
Si la frustration de ne plus pouvoir manier la "six cordes" demeure vivace, la voix, lumineuse et limpide, est toujours là… Les douze chansons sont autant de tableaux dont les mélodies jouent les encadrements pendant que le chant se fait peinture… Dotée d’un pareil talent, Anna-Lynne peut se permettre d’inverser les codes.
Ecouter Off White, c’est comme s’immerger dans un état d’esprit proche du Wabi Sabi...c’est se couper un temps de la foule et méditer en regardant le frémissement d’une branche de Bonsaï sous la brise et le crachin d’automne, c’est insignifiant, mais ça fait un bien fou. On est surtout bien loin de l’esbroufe superficielle du monde environnant, on est dans l’authentique, le confiné, on en sentirait presque l’odeur de grenier, la chaleur dégagée par la lampe de chevet, le bourdonnement paisible du pré-ampli, la solitude et les angoisses de l’aube. On est aussi dans l’essence même des sentiments écorchés.
C’est à partir de là que l’insignifiance se mue en immensité.
On ne pouvait clôturer ce texte sans mentionner le travail de Mayme Kratz, la dame qui est à l’origine de l’œuvre qui orne la pochette.
Alors… Voilà, désormais vous savez à peu près tout, les plus curieux d’entre vous vont peut être sacrifier un instant de leur vie ainsi qu’une bonne portion de curiosité à écouter l’album, ils se surprendront à errer dans leurs propres songes en regardant, s’il pleut ce jour là, les gouttes d’eau s’écouler en zigzag de l’autre côté du châssis double vitrage…
Et la question demeure...Le titre n’est-il pas trop aguicheur… Anna-Lynne est-elle une fée ?
Pour le savoir, il faudrait que la chance vous soit donnée d’entendre le chant d’une sylphide, un matin, au fond des bois, juste pour comparer.
Ici, on n’a nul besoin de randonner en forêt… On connaît la réponse.
On va vous laisser maintenant, on repart écouter Off White, les yeux collés à la fenêtre à regarder la pluie de septembre, celle qui fait vibrer les branches des aubépines…
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