vendredi 23 juin 2006, par
Si le format express des chroniques présente souvent de l’intérêt,, il faut avouer que parfois il ne suffit pas. Pour dEUS il ne suffit pas. La fin des années ’80 n’était pas, il faut bien le dire, la période la plus emballante de la musique. Puis, en 1991 sont arrivés Nirvana et Massive Attack et en 1994 Portishead, Beck et dEUS. Les années ’90 pouvaient commencer, on pouvait espérer.
Les bons albums prennent à la gorge sans round d’observation, dès le premier morceau et dès la première écoute. Ici, c’est Suds and Soda. Le riff de violon, le Friday, friday hurlé comme si sa vie en dépendait par Stef Kamil Carlens, le bassiste, tout contribue à plonger l’auditeur dans la frénésie. Puis rideau, changement de climat, on a deux morceaux branques, avec des entrelacs de voix mégaphonées, chuchotées, portées par une basse enveloppante. Vient Via, réminiscence moins énervée du premier titre. On est de toute façon tout au long de l’album balancé à gauche et à droite, de ballade malade en moments fiévreux. Avec comme moments forts Let’s get lost, où un riff plombé et fier-à-bras se déglingue soudainement en une élégie musicale portée par un violon lancinant et Hotellounge, avec son gimmick guitaristique discret mais tenace et son chorus aux guitares tourbillonnantes.
Ce que fait dEUS est branque, râpeux et viscéral, comme organique, ce n’est pas une accumulation de sons mais de la matière vivante, rebelle. La production de Pierre Vervloesem (aussi fondateur de X-legged Sally) est tout simplement impeccable. On est finalement fort loin de l’esprit des gourous de l’époque, les producters Butch Vig (qui finira par aller fonder Garbage) et Steve Albini qui définissaient à eux deux le son ’grunge’ même si le bruitisme affleurant parfois pourrait le laisser croire. On a évoqué Zappa et Captain Beefheart mais c’est plus pour se conformer à l’esprit du bordel apparent de ces deux précurseurs que pour décrire formellement ce qu’est dEUS.
Toute une génération (dont je suis) tient là la pierre de touche de tout ce qui va suivre en matière de rock. On trouve un point de comparaison. Ce groupe (distribué par les Jambois de Bang ! qui viennent de fêter leurs dix ans) va placer une fois pour toutes Anvers comme lieu phare de création, partir conquérir l’Angleterre puis finalement donner naissance directement et indirectement à une myriade de groupes, de Moondog Jr et Zita Swoon à Dead Man ray en passant par Kiss my jazz. Quant à dEUS lui-même, il va commettre In a bar, under the sea, continuant l’exploration mais en moins puissant (si on exclut le décoiffant Roses) puis The ideal crash, où le chanteur Tom Barman imprime une marque plus forte et évolue vers une pop plus dépouillée mais complexe et hautement recommandable.
Il est rare que des albums soient à la fois pénétrants à écouter, surprenants encore dix ans après et fondateurs. Celui-ci l’est. C’est ce qui le rend indispensable. (M.)