Accueil > Critiques > 2009

Antony & The Johnsons - The Crying Light

vendredi 23 janvier 2009, par marc

La lumière pleure


La dernière fois qu’on a entendu Antony Hegarty, c’est en tant que vocaliste occasionnel d’Hercules and Love Affair, notamment sur ce Blind qui nous aura tant fait danser en 2008. En effet, le léger décalage entre son fausset qui nous a donné tant de bons moments de mélancolie et d’autres plus typés dance-house apportait une humanité à un groove irrésistible. On a dansé là-dessus, plein de fois.

Retour aux affaires donc pour le chanteur au look androgyne. Ce qui pourra déconcerter ceux qui l’associent au disco mais ils doivent être plutôt rares. Et ils seront mis au parfum dès Her Eyes Are Underneath The Ground. Le toujours touchant piano, une discrète touche violoncelle et surtout sa voix sont en place. Haut perchée, certes, mais à l’inverse d’un maniérisme disco, humaine, paradoxalement chaude, et d’une expressivité retenue qui fait tout son sel. Evidemment, on adhère ou pas du tout au concept. Comme j’avais déjà pointé I Am A Bird Now comme un de mes disques de chevet dans le genre, il va de soi que je reste client. Cet album sonne de toute façon comme une confirmation pour tous ceux qui se sont lovés au creux de l’album qui l’a révélé à un public plus large.

Dès la pochette l’univers est familier. Et si le danseur japonais Kazuo Ohno remplace Candy Darling sur son dernier lit, l’ambiance retenue, un peu freaky nous maintient dans ses habitudes de noir et blanc intense, intrigant.

Dans sa famille musicale il y a David Tibet (qui a publié son premier album), le trop méconnu leader de Current 93 et de toute cette nébuleuse d’un folk minimal, n’hésitant pas à traverser les frontières de l’expérimental quand le besoin s’en fait sentir. C’est plus qu’une anecdote, c’est une indication certaine sur son orientation, et une explication du fait que sa musique mélancolique jamais ne cède aux sirènes du sirop musical. On n’est pas en présence d’une drama queen flamboyante mais d’un être humain un peu tracassé par les idées de genre (pour ceux qui n’auraient pas pigé l’allusion du titre du pénultième album) et qui transmet en direct une émotion de personne à personne.

Ce que je trouve paradoxal, c’est d’avoir été un peu moins touché par cet album que par le précédent, alors que son expression est encore plus complexe, plus riche, n’hésitant pas à sortir de sa zone de confort vocal le temps d’Aeon. Ce morceau d’ailleurs, et son histoire de générations, a peiné à me faire succomber, même si l’interprétation est ici poussée à son paroxysme sur fond d’arpège de guitare électrique. Mais il y a beaucoup de bonnes choses, comme le chorus tout en légèreté de One Dove, ou la nudité relative de Dust and Water qui est impeccable. Il faudrait peu pour que ce ne soit pas bien et on apprécie d’autant mieux la retenue qui touche. Ajoutons aussi Daylight and the Sun et le final et très réussi Everglade au rang de ce qui m’a fait chavirer. Finalement, il faudra passer le coup de mou de la mi-album, donc d’un Crying Light (belle image pourtant, qui définit si bien son œuvre) ou d’un Another World un peu fastidieux

J’imagine que ceux qui connaissent et apprécient cet artiste n’ont pas eu besoin de moi pour resuccomber aux charmes d’Antony. S’il me laisse un peu sur ma faim au niveau de l’émotion pure, il reste une valeur sûre pour tous ceux qui ont besoin d’un peu de grâce.

    Article Ecrit par marc

Répondre à cet article

1 Message

  • Beirut – Hadsel

    Bien honnêtement, quand on a découvert Beirut en 2006, on ne se doutait pas qu’on allait suivre le jeune Zach Condon pendant plus de 17 ans. Cette musique fortement influencée par les fanfares balkaniques a suscité d’emblée l’intérêt mais le procédé semblait trop étriqué pour s’inscrire dans la longueur. On avait tort, forcément, et ceci en est un nouveau rappel.
    En première écoute, ce Hadsel est plutôt en (...)

  • Animal Collective – Isn’t It Now ?

    A une époque où la modernité n’est plus une vertu cardinale, il peut être étonnant de retrouver cette conjonction de talents (Avey Tare, Panda Bear, Deakin et Geologist) aussi en forme après près d’un quart de siècle d’existence. Avec Time Skiffs, on pouvait clairement parler d’une nouvelle période pour le groupe, un revirement vers plus de musique ‘figurative’ par opposition aux brillants collages (...)

  • Caleb Nichols - Let’s Look Back

    L’artiste qui aura fait le plus parler de lui en 16 mois est un prix qui ne rapporte rien sinon des critiques multiples et sans doute un peu de confusion de la part d’un lectorat débordé. Bref, après avoir pris congé de Soft People, l’actif Caleb nous a donné un album un opéra rock Beatles queer puis deux EP qui mélangeaient chansons et poèmes autour du personnage semi-autobiographique de Chantal. Sa (...)

  • Sufjan Stevens – Javelin

    Chez Sufjan Stevens, il y a les choses qu’on admire et celles qu’on adore et ce ne sont pas nécessairement les mêmes. Et si chez les fans de la première heure le meilleur était au début, c’est sans doute son fantastique Carrie and Lowell qui a été le plus acclamé et est considéré comme la ‘base’ de son style. Parce que Sufjan, c’est bien plus large que ça, entre albums hénaurmes et risqués, ambient pas (...)

  • Sarah Mary Chadwick - Messages To God

    Dans une ère où toutes les émotions sont passées sous l’éteignoir d’une production qui lisse, il est plaisant de rencontrer des voix (forcément) discordantes comme celle de la Néo-Zélandaise Sarah Mary Chadwick sur son huitième album solo. On se frotte d’emblée à ce ton naturaliste et direct qui n’est pas sans rappeler Frida Hÿvonen. Frontal donc, d’une sincérité qui peut aller jusqu’au malaise. La dernière (...)

  • Anohni and the Jonsons - My Back Was a Bridge for You to Cross

    Une limitation connue de la critique est qu’elle intervient à un temps donné, dans un contexte. Or on sait que les avis ne sont jamais constants dans le temps. Ainsi si I am a Bird Now a beaucoup plu à l’époque, on le tient maintenant comme un des meilleurs albums de tous les temps, tous genres et époques confondus. Cette proximité crée aussi une attente quand que les Jonsons sont de nouveau de la (...)

  • Jungstötter - Air

    Quand on a découvert Jungstötter, c’était presque trop beau pour être vrai. En se situant aux confluents de tant de choses qu’on aimait comme Patrick Wolf ou Soap&Skin (dont il a assuré les premières parties) ou Anohni, il a délivré avec Love Is un de nos albums préférés de ces dernières années. C’était aussi l’occasion de retrouver des collaborateurs talentueux comme P.A. Hülsenbeck qui d’ailleurs est (...)

  • Lana Del Rey - Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd (...)

    Généreuse dans l’effort, Lana Del Rey l’est certainement, et il faut l’être pour livrer aussi régulièrement des albums aussi consistants. Surtout s’ils sont entrecoupés de recueils de poésie. Maintenant, on peut s’affranchir d’un rappel des faits précédents. On remontera juste jusqu’au formidable Noman Fucking Rockwell ! pour signaler qu’il y a eu deux albums jumeaux en 2021 qui l’ont vu à la fois revenir à (...)