Accueil > Critiques > 2009

Coeur de Pirate - Coeur de Pirate

vendredi 6 mars 2009, par marc

C’est quoi le talent ?


Heureusement qu’il existe d’inlassables défricheurs, des passionnés qui proposent à l’admiration des foules ce qui les fait vibrer. Erwan est de ceux-là et c’est par son biais que j’ai découvert Cœur de Pirate (post, extraits et interview tout en un. Je vous l’emballe ? C’est pour offrir ?). Ca ne date pas exactement d’hier sans doute mais le temps était sans doute venu pour me frotter de façon définitive au charme musical de cette toute jeune Canadienne (non, je le fais pas exprès) appelée Béatrice Martin dans la vraie vie de tous les jours.

Une fille toute seule au piano. On a entendu ça cent fois sans doute, mais seul l’aune du talent permet de séparer le bon grain de l’ivraie. Vous l’avez sans doute compris à mon enthousiasme initial, le talent de ce Cœur de Pirate est de la première catégorie. Et puis c’est réducteur évidemment, assez peu de chansons se contentent de si peu. Car on pourrait très bien faire tourner tout ceci vers une variété consternante. Ce n’est heureusement pas le cas même si la modestie n’est pas uniformément de mise. Pas de gâteau musical cependant, mais des compositions qui toutes tiennent la route, qui pourraient sans doute se contenter d’un piano (certaines le font) mais prennent là un supplément de panache. Et si finalement c’était avec ces moyens pas vraiment démesurés que ces chansons prennent toute leur saveur ?

On a vu dans un passé récent éclore de jeunes talents à même de capter de façon très personnelle l’air du temps, mais on constate ici un côté moins ‘choses vécues de la vraie vie’ qu’ont parfois les jeunes Anglais (Kate Nash, Lily Allen, Mike Skinner ou Alex Turner). Car au niveau des thèmes, on constate une noirceur (le justement nommé et assez bouleversant Fondu Au Noir) assez déconcertante chez une fille de cet âge. En effet, je cède souvent devant le contraste entre un propos glacial dans un emballage plus jovial. C’est déjà ce qui me plait chezThe Smiths, Marissa Nadler ou Frida Hyvönen et cette petite va grossir la liste hétéroclite de ceux qui me sont indispensables. En général, il est de bon ton d’insérer des citations pour montrer la force de l’écriture. Je ne le ferai pas ici non par indolence mais pour ne pas gâcher la surprise et aussi que c’est dans le contexte d’une chanson qu’elles prennent tout leur sens. Mais tout n’est pas d’un romantisme sombre, il y a de charmantes respirations comme Printemps, d’une désarmante franchise sur une occasion (presque) manquée

L’accent est un peu original, mais pas dans les clichés du genre. Le résultat total dégage de toute façon un charme fou et puis une fille qui intitule une chanson C’était Salement Romantique a de toute façon toute mon affection.

Un certain éclectisme est de mise puisque la mélodie imparable d’Ensemble se termine dans une fanfare assez New Orleans qui masque le pessimiste du propos (Ensemble rime avec désordre). Intermission est quand à lui une respiration au piano. Qui n’a rien à voir avec le morceau deJoy Division, bande de monomaniaques (qui a dit « toi-même » ?). On a droit aussi à un petit air sixties doux-amer pour parler en duo (avec Jimmy Hunt) d’infidélité (Pour Un Infidèle) ou à un slow en bonne et due forme (La Vie Est Ailleurs). L’album se termine dans une montée de cordes, plutôt ampoulée par rapport au reste de l’album, mais sans doute bien modeste face à, disons, Pierre Lapointe pour rester dans ses compatriotes.

Sa jeunesse permet d’affronter avec succès et fraicheur des sentiers qu’on imaginait battus. Le thème de la dualité de l’œuvre d’un artiste et de sa vie est évidement mille fois rabâché. Mais la candeur et la simplicité rend le tout vraiment touchant. C’est pourquoi Francis est tellement prenant, concis, émouvant et compact. Tout est emballé en deux minutes chrono. Pas de pathos, juste des émotions justes et fortes, porté par une voix franche et son piano. J’aime spécialement ces morceaux plus simples comme celui mentionné ou Corbeau.

Et après une série d’écoutes (je ne les compte plus), on se surprend à entrer en résonance avec toutes ces chansons sans exception. L’album est court, et on se retrouve à le remettre sans qu’on s’en rende bien compte. Qu’est-ce qui me retient de mettre cinq étoiles à ce premier essai ? Allez savoir… Laissons le temps agir. Et il joue pour elle.

Il est toujours difficile de partager des émotions, des sensations qu’on ressent à l’écoute d’un album. Mais j’ai tout de suite adhéré à ce jeune Cœur de Pirate. La facilité mélodique déconcertante, le propos bien personnel et un peu sombre sous de jolis atours ont permis des écoutes vraiment nombreuses. Assister à l’éclosion d’un talent est un plaisir rare auquel je vous convie.

    Article Ecrit par marc

Répondre à cet article

10 Messages

  • Coeur de Pirate - Coeur de Pirate 6 mars 2009 17:58, par Erwan

    Petite précision : j’avais découvert la miss chez Jladisco :
    http://jladisco.blogspot.com/2008/10/coeur-de-pirate-batrice-martin-alias.html

    repondre message

    • Coeur de Pirate - Coeur de Pirate 6 mars 2009 18:37, par Marc

      Merci pour la précision. Et pour la découverte comme tu l’as compris.

      repondre message

      • Coeur de Pirate - Coeur de Pirate 8 mars 2009 07:33, par Laurent

        Figurez-vous que c’était un des disques "de chevet" de mon fils dans le premier mois de sa vie (ça et le Mariee Sioux, pour ne rien vous cacher). Cela ne veut évidemment pas dire que je considère notre amie corsaire comme musicalement infantile - j’en suis personnellement assez fan aussi - mais ça dit toute la simplicité, au sens noble du terme, de cette suite de berceuses à l’évidence mélodique "plus facile à faire qu’à comprendre" (pour citer ma phrase préférée du disque), à la tendre nostalgie qui confine au bouleversant dès qu’on s’immerge dans les textes, très réussis. Bon, maintenant mon fils adore Saule, c’est déjà une autre limonade littéraire... m’enfin il fait ses dents, aussi, on soigne son mal comme on peut !

        repondre message

        • Coeur de Pirate - Coeur de Pirate 30 juillet 2009 20:21, par ta chatte

          Bouleversant ? Nan mais qu’est-ce qui faut pas entendre...

          repondre message

          • Coeur de Pirate - Coeur de Pirate 20 août 2009 16:07, par mmarsupilami

            25 euros pour son prochain concert à l’Ancienne Belgique ?!?
            Elle a vite grandi, la petite !
            Et j’ai toujours pas entendu...
            Trop tard !

            repondre message

            • Coeur de Pirate - Coeur de Pirate 24 août 2009 18:37, par Marc

              Les agents et bookeurs ne perdent décidément pas le nord. Est-il trop tard ? Peu-être, mais on l’avait prédit (on est super forts). Mais dans un petit temps, quand le soufflé se sera calmé, il y aura un slot pour l’écouter (de nouveau) sereinement... Ca vaudra la peine d’essayer.

              Ou alors écouter Health, qui ne passera certainement pas à la radio. Mais quelle claque

              repondre message

              • Coeur de Pirate - Coeur de Pirate 25 août 2009 00:26, par mmarsupilami

                Ca m’étonnerait effectivement que Health se paie un trajet à la petit Coeur...

                Tu parles du Health de North Carolina ou de celui de Los angeles ?

                De celui de L.A. bien entendu ! Je suis très étonné en lisant les critiques du Pukkelpop. Notamment "Le Soir" qui nous les présente comme dignes héritiers de My Bloody Valentine (faudra un jour qu’on m’explique pourquoi ce groupe est devenu un buzz rétroactif). Pour revenir à l’album "Health"’ par le Health de L.A., je ne voyais pas du du tout ça comme de l’industriel (dixit "Le Soir"). Ont-ils viré en cours de route ? J’écouterai donc le nouvel album dès que possible...

                 ;-)

                repondre message

                • Coeur de Pirate - Coeur de Pirate 25 août 2009 09:13, par Marc

                  On parle du Health de LA évidemment. Les références à My Bloody Valentine et à l’industriel ne sont pas trop rigoureuses mais pas inexactes non plus. Pas de shoegaze en vue, ni de pop sucrée noyée sous les pédale fuzz, mais une science du noise. On pensait plutôt à une version extrême des Liars. Quant à l’industriel, ils songent sans doute au mélange de guitares saturées et de beats, mais le résultat est là aussi différent de Nine Inch Nails (encore que parfois...).

                  L’album Get Colour sort dans deux semaines et il est fameux. On en reparlera bien entendu...

                  repondre message

                  • Coeur de Pirate - Coeur de Pirate 25 août 2009 09:40, par mmarsupilami

                    Il est vrai aussi que mon souvenir est peut être perturbé par l’empreinte cérébrale du remix complet de leur premier album "Health", transformé en "Health Disco". Pichfork avait même donné une note un rien supérieure au "cover", ce qui est assez peu commun. Une superbe expérience parce qu’elle fait partie de celles, pas si nombreuses, qui montrent que, quand la composition est forte, elle passe la rampe de l’interprétation. L’article de Pitchfork.

                    repondre message

                    • Coeur de Pirate - Coeur de Pirate 25 août 2009 09:46, par marc

                      Il y a eu aussi leur bonne collaboration avec Crystal Castles. Ces jeunes-là regorgent de talent et de maitrise...

                      Le compte-rendu du deuxième jour arrive, celui du premier est en ligne.

                      repondre message

  • Albin de la Simone - mes battements/Toi Là-Bas

    Normalement, on se concentre exclusivement sur l’aspect musical des choses. Même les musiques de film, série ou danse sont vues pas le simple prisme auditif. On va faire une exception ici parce qu’on l’a lu, Mes Battements d’Albin de la Simone. Et on a bien fait tant c’est un bonheur de sincérité et d’humour. Ce sont des anecdotes, un peu, des histoires courtes, des instantanés écrits et (…)

  • The Imaginary Suitcase – A Chaotic Routine (EP)

    Oui, les choses changent, même pour les compagnons musicaux de longue date. Et même après une dizaine d’oeuvres relatées ici, on constate ce changement dès la pochette. On passera sur le changement de police de caractère pour se concentrer sur les visages, présents pour la première fois. Et puis constater que Laurent Leemans n’est plus seul à bord, même si les autres noms ne sont pas (…)

  • iAROSS – Ce Que Nous Sommes

    Même si un peu de documentation est souvent fournie, c’est souvent au moment de boucler un article qu’on vérifie des faits, qu’on collecte des informations. Bref, alors que je m’apprêtais à dire que la voix du chanteur de iAROSS me faisait furieusement penser à celle de Colin Vincent entendu chez Volin et Muet, il se fait que c’est lui aussi qu’il a été guitariste de cette formation. Mais (…)

  • Sophia Djebel Rose - Sécheresse

    Rien n’est plus plaisant que de constater l’évolution des artistes. On avait déjà rencontré l’univers particulier de Sophie Djebel Rose, apprivoisé son ton particulier, on apprécie d’autant plus la façon dont elle élargit elle-même son univers. Moins folk, plus franchement gothique, ce second album la rapproche d’artistes comme Anna von Hausswolff dont elle ne partage pourtant pas la rage (…)

  • Marie Davidson – City of Clouds

    En général, les mailing-list d’artistes sont des outils d’information, une indispensable source pour les sorties et les tournées. Parfois on a un lien privilégié avec les pensées des artistes, certain.e.s se révélant brillant.e.s dans l’exercice. On songe à Emily Haines de Metric ou Marie Davidson. Entre blog introspectif et histoires éclairantes, ces messages plus ou moins réguliers (…)

  • Basia Bulat - Basia’s Palace

    Depuis le 2 janvier 2007, la musique de Basia Bulat est dans nos vies. Et elle y est restée. Après avoir revisité sa discographie avec un quatuor, la revoici avec du nouveau matériel initialement composé en midi. En mode disco donc ? Non, pas vraiment, même si Angel s’en approche un peu. Le décalage avec sa voix chaude est intéressant en tous cas.
    Dans le rayon du mid-tempo plus roots, des (…)

  • Yoo Doo Right - From the Heights of Our Pastureland

    Il y aurait beaucoup à écrire sur les groupes dont les noms évoquent des morceaux d’autres artistes. Obligatoire pour les tribute-bands, cet hommage se retrouve souvent entre Radiohead, dEUS ou The Blank Agains ou Don Aman. Si le nom du groupe de Montréal nous a tout de suite évoqué un classique de Can, la musique n’est pas Kraut ici. Ou pas que.
    Même s’il ne convient pas de juger un livre (…)

  • Sunset Rubdown - Always Happy To Explode

    On a constaté récemment que le talent de Spencer Krug s’exprime le mieux dans deux pôles opposés. Le premier est plus sobre, en piano-voix souvent et dégage une émotion certaine. L’autre est plus épique et peut prendre des formes diverses, plus électriques et incandescentes avec Dan Boeckner au sein de Wolf Parade, plus synthétique quand Moonface rencontre les Finnois de Siinai. Ou alors plus (…)