Accueil > Critiques > 2010

Four Tet - There Is Love in You

jeudi 4 mars 2010, par Laurent

Il était une fois la vie


Il était plus que temps de saluer, voire de rappeler, la sortie de ce qui s’annonce d’ores et déjà comme un des grands disques d’électro minimale de l’année, assurément bien parti pour conserver sa place dans les classements de décembre. Au même titre que le retour de The Field l’été dernier, ce come-back hivernal de Kieran Hebden fait vraiment chaud au cœur. Non pas que l’Anglais, chouchou des rockeurs transgenres qui aiment se faire remixer sens dessus dessous (Radiohead, Bloc Party, Battles...), fasse partie de mes amours de jeunesse. Mais la sensibilité qui émane de son nouvel album, à la limite du contre-emploi, confère une densité tout apollinienne à une musique qu’on imaginerait plus à l’aise à l’ombre des icebergs.

Il serait plus juste d’évoquer, à l’écoute de ces neuf titres, l’exploration d’une nature indomptée mais fragile, un soleil ardent cherchant à percer des paupières closes, ou encore le fourmillement organique agitant l’intérieur d’un corps. Le vôtre peut-être, à condition de ne pas trop avoir les pieds sur terre, parce que "There Is Love in You". L’évidence m’apparaît : c’est comme si Four Tet, partant des sonorités urbaines qui composent sa musique, s’était prétendu l’architecte d’une cité biologique, d’un village intra-utérin alimenté par nerfs et cordons, et où le seul langage des sens serait intelligible. Quelque chose d’une expérience prénatale, comme dans le clip de Massive Attack, mais sophistiquée par une technologie au service de l’humain.

N’ayons pas peur des mots, il y a bel et bien de l’amour là-dedans : Love Cry, pierre ogivale de l’ensemble, n’a rien d’une roucoulade gluante, mais ses neuf minutes – dont pas une seconde d’ennui – superposent l’une après l’autre des couches interdépendantes jusqu’à atteindre l’harmonie. On nage en plein dedans sur Circling, morceau funambule et vrai moment de poésie. Partisan d’une electronica pointilliste, Hebden laisse souvent flotter ses blips en suspension. Aussi This Unfolds tient-elle les promesses de son titre en dévoilant, sous la machine, un véritable cœur qui bat. Pablo’s Heart, qui sait, dont les onze secondes énigmatiques relancent les pulsations de Sing. Là encore, si une apparente froideur semble s’emparer des rouages, Four Tet n’accélère la cadence que pour mieux permettre à son petit monde de respirer.

Il fait d’ailleurs encore plus fort avec le tubesque Plastic People, ou comment jouer la house d’Ibiza dans un club sous-marin. Voire intestin, une fois de plus. Car il serait facile de concevoir ce "There Is Love in You" comme le voyage d’une gestation fœtale, depuis le miraculeux appel à la vie d’Angel Echoes jusqu’à She Just Likes to Fight, où le douloureux combat de la parturition se transcende en instantané de grâce. De l’un à l’autre, le temps s’est écoulé mais en oscillant. Du concept à la forme, de la partie au tout, de l’idée à la vie. Tout comme Kieran Hebden, venu du rock glacial – son groupe n’a pas été baptisé Fridge innocemment – pour aboutir à un langage musical protéiforme et cristallin, ce cinquième album est l’histoire d’une évolution. Celle qui mène les artistes les plus doués à la synthèse aboutie de leur talent. Ça s’appelle la maturité.


Répondre à cet article

3 Messages

  • Four Tet - There Is Love in You 4 mars 2010 15:56, par paulo

    Salut Laurent,

    tout d’abord bravo pour tes critiques pleines de jolis mots :)

    Par contre pour ma part, je voudrais livrer mon impression de Four Tet... ça me démange.
    en fait je n’ai jamais compris le buzz autour de cet artiste, si je me souviens bien, il a été fortement poussé médiatiquement par Radiohead qui en avait fait l’artiste du moment (comme plus tard avec modeselektor) probablement vers 2003.
    Souvent associer à des grands noms, il bénéficie ainsi d’une bonne réputation, et j’ai parfois l’impression que "ça fait bien" de citer Four Tet, voir Kieran Hebden, c’est encore mieux..

    Pourtant en tant que fan du genre, j’ai bien essayé d’écouter, j’apprécie énormement la boucle de A Joy, plage1 d’un précédent album, mais je n’aime pas le développement qu’il en fait. L’ensemble me parait dramatiquement creux. J’ai écouter l’album avec Steve Reid c’est sympa, ça ressemble à un gig/buff entre potes qui ont du matos et qui décide de faire dans l’electroacoustique et d’amener dans le monde commercial alternatif, mais bon David Torn and the prezens dans un genre plus jazz vont plus loin créativement...
    J’ai à nouveau tenté les préécoutes de ce dernier opus. Et bien pareil, Angel Echoes me fait penser à du vieux daft punk, les samplers d’aujourd’hui font le boulot magnifiquement bien.
    La maitrise se fait surtout dans l’acoustique, la transposition d’un monde electro vers l’acoustique, l’electrofolk comme ils appellent ça. Mais je ne pense pas que ça soit spécialement nouveau.
    Un élément de réponse se trouve peut-être dans le fait que j’ai toujours attendu autre chose, un truc plus décapant, or le fait que tu mensionnes les mots "electro minimale" me fait dire que c’est peut-être ça la raison. Je ne suis pas trop electrominimale, c’est peut-être pour ça que je n’accroche pas.
    Là où tu as raison, c’est qu’il y a de l’amour dans cet album, et je parierai que Kieran Hebden vient d’être papa. Il aura probablement enregistrer les battements du coeur de son fils lors d’une echographie (comme beaucoup de Papa le font) c’est le son de Pablo’s Heart.

    En conclusion je ne veux pas critiquer la critique (fort bien faite) mais juste pousser une gueulante sur ce que j’estime être un artiste sur-évalué, qui ne vaut pas (encore) d’être citer en référence. Voilà tout.
    Là-dessus je te souhaite la bienvenue en tant que critique sur mescritiques.

    repondre message

    • Four Tet - There Is Love in You 4 mars 2010 18:02, par Laurent

      Salut Paulo,

      Je comprends fort bien ton argumentation. Peut-être qu’effectivement c’est le minimalisme qui te rebute, va savoir. Encore que je trouve qu’il y a beaucoup plus minimal que ça. Pour ma part, je ne cite pas Four Tet comme une référence non plus, mais ce qui est sûr c’est que si tu n’accroches toujours pas à ce disque qui est, selon moi, grosso modo l’aboutissement d’une jeune carrière (difficile d’avoir encore grand-chose de neuf à dire après 5 disques, sans compter ses projets parallèles), alors il me paraît impensable que tu l’encenses un jour.

      Sinon, je ne sais pas si "ça fait bien" de citer Four Tet... ;) Donc je vais me décrédibiliser d’un coup sec pour rétablir la balance : j’ai l’album de Julien Doré. Ma coolitude s’effondre, là. ;)

      Merci en tout cas pour ton message, et vraiment ravi de faire partie de l’équipe !

      repondre message

      • Four Tet - There Is Love in You 5 mars 2010 10:27, par paulo

        on se comprend
        cela dit, je ne dit pas que tu cites Kieran Hedben pour faire cool, je parlais en général du cas Four Tet. Mais je suis probablement injuste car on peut en trouver des dizaines des artistes cités pour faire cool. C’est juste que le style est sensé me plaire et que je n’y ai pas trouvé mon plaisir. C’est un peu comme Boards of Canada, cité dans tous les sens en référence, mais à l’écoute, outre le côté créatif des synthés c’est un peu lourd, faut trouver la situation.

        ^^ bon je vais arreter sinon on va croire que j’aime pas la musique.

        J’aime beaucoup l’album de Julien Doré, à l’inverse sa coolitude le bouffe.

        repondre message

  • Danube - Cities

    Plusieurs morceaux étaient disponibles et ont attisé l’attente qui n’a pas été déçue par ce premier album de Danube dont les noms de morceaux sont des capitales européennes. Oui, un peu comme dans La Casa de Papel. Ce qui n’est pas clair par contre c’est qui se cache derrière ce projet. C’est secondaire évidemment, la musique primant tout.
    Quoi de plus compliqué à définir qu’un son ? C’est un challenge (...)

  • Dark Minimal Project – Remixes

    On vous avait déjà dit tout le bien qu’on pensait du second album de Dark Minimal Project, Ghost of Modern Times. On avait décelé un cousinage certain avec Depeche Mode et c’était loin de nous déplaire. Et la ressemblance se prolonge avec ces remixes, le groupe anglais étant très friand de l’exercice. Sur la pochette, les deux protagonistes Guillaume VDR et Ange Vesper semblent avoir pris cher mais (...)

  • Tinlicker – Cold Enough For snow

    Chacun va mettre sa ligne rouge sur cet album du duo de producteurs bataves Micha Heyboer and Jordi van Achthoven. C’est forcé tant cet album oscille entre trop et beaucoup trop, délicatesse et évanescence. Mais il est aussi impossible de ne pas trouver son compte non plus. Ce continuum qui va de la pop dansante et cotonneuse à du matos pour une rave à 4 heures du matin est en tout cas assez (...)

  • Jonas Albrecht - Schrei Mich Nicht So An Ich Bin In Trance Baby

    Si ce n’est pas trop visible pour le lecteur, certains distributeurs participent beaucoup à la ligne éditoriale. Parmi eux, Five Roses tient la pole position. Si l’éclectisme est remarquable, une des constantes est la présence d’artistes qui manipulent la percussion comme matière première. Dans un passé récent, on a eu le dernier Peter Kernel, la claque de Parquet et tous les projets d’Anthony Laguerre (...)