dimanche 11 avril 2010, par
Soixante ans d’âge
Je m’imagine parfois un avenir lointain où – incapable que je suis de conjecturer sur une évolution politique ou technologique vraisemblable – les principaux points de repère sont musicaux. Le rock à guitares aurait de beaux restes, la pop synthétique se réinventerait sans cesse et le public re-re-redécouvrirait les racines du blues et de la soul, s’engouant à nouveau pour les voix habitées et les lamentations transcendées. Je projette surtout mille phantasmes autour du vieillissement des artistes qui définissent notre époque.
Ainsi les membres de Radiohead proposeraient de temps en temps de nouveaux morceaux sur la toile et s’illustreraient séparément dans des DJ-sets prisés – sauf Jonny Greenwood, compositeur avant-gardiste qui ferait figure de nouveau John Cage. Peter Doherty ferait du spoken word en lisant ses poèmes, et Mark Everett de la stand-up comedy. Björk et Camille auraient définitivement viré cantatrices, dEUS et Dominique A feraient du classic rock, Midlake serait revenu au jazz. PJ Harvey serait devenue complètement folle et les Chemical Brothers, un duo folk. Joeystarr se produirait à Couleur Café avec un combo funk, Ben Harper renouerait avec le succès grâce à son duo sur l’album country des Editors. Oasis se séparerait pour la neuvième et dernière fois, Coldplay se reformerait et tout le monde s’en foutrait.
Que l’avenir me donne tort ou raison, peu me chaut. Une chose est à peu près sûre cependant : les talents qui nous excitent aujourd’hui paraîtront bien conformistes aux yeux de la prochaine génération. J’ai toujours trouvé ce phénomène cruel. Les légendes vivantes sont rares et, quand bien même, on les préférera toujours foudroyées (le club des morts à 27 ans) ou dissolues à jamais (comme quatre gars de Liverpool). Parce que, d’un artiste qui publie son quinzième, vingtième voire trentième album, on n’attend rien. La dose minimale de plaisir, en souvenir du bon vieux temps. Et après ? Lorsque Sufjan Stevens publiera son nième album étasunien – le diptyque "Oh Carolina ! The North & South of You" – les fans l’ajouteront nonchalamment à leur collection, comme une routine éprouvée.
Qu’est-ce qu’on peut espérer aujourd’hui d’une nouvelle sortie du soixantenaire Arno Hintjens ? Soyons francs : comme pour un Woody Allen, comme pour un Houellebecq, comme pour le beaujolais, c’est que le cru soit bon. Ni plus ni moins. À ce titre, les amateurs du roublard ostendais ne seront probablement pas déçus : "Brussld" s’apparente à ce qu’il a fait de mieux depuis "Charles Ernest". Mais pour les chasseurs de hype et autres apôtres en quête de Messie... circulez, y’a rien à voir. Juste à revoir.
Ce millésime 2010 repose sur un tracklisting rigide mais efficace ; hormis un petit renversement à la fin du disque, le principe est simple : Arno alterne systématiquement down (les titres pairs) et up-tempo (les impairs). Grosso modo, on peut situer les plus franches réussites du côté des premiers. Sublime en crooner déglingué, le Flamand francophile laisse de jolies traces quand son timbre rocailleux chante l’admiration amoureuse (Elle Pense Quand Elle Danse, superbe ballade de bastringue, ou la lente et magnifique poussée de fièvre sur Quelqu’un A Touché Ma Femme). Et comme toujours, on peut compter sur la reprise très décalée d’un standard – Arno brille tant dans cet exercice qu’il en avait récemment compilé les plus belles perles – en l’occurrence le Get Up, Stand Up de Bob Marley, transformé en complainte de piano-bar pour businessmen familiers de l’alcool triste.
Délaissant toujours sa langue maternelle – un phénomène plutôt courant, au fond – Arno maintient la parité dans le partage des titres français et anglais, les deux langues cohabitant même sur la très œcuménique Brussels, déclaration d’amour à la capitale et à ses saveurs (« L’oignon fait la force, vive les moules ! »). S’il abuse parfois des aphorismes et des métaphores de comptoir (« Tomber amoureux, c’est comme un mal de tête, ça vient et ça passe », dit-il dans une chanson, si convaincu qu’il le répète textuellement – mais en anglais – dans une autre), Arno peut compter sur son « hénaurme » personnalité pour faire avaler toutes les couleuvres de l’arc-en-ciel. Certes, les titres plus enlevés sont moins convaincants, mais l’énergie et la gouaille de l’interprétation finissent généralement par enlever le morceau.
D’autant qu’ici ou là, quelques gimmicks bien sentis ajoutent de délectables pincées de sel : la légère touche arabisante de God Save the Kiss, la valse foraine de Mademoiselle, les arrangements capiteux impeccables de How Are You sont autant de garants pour voir les compositions de "Brussld" rivaliser avec les classiques du patron. Et même si, venant de lui, on trouvera presque convenus l’hymne pochetron Le Lundi On Reste au Lit ou l’invitation à la danse de Ça Monte, on sait d’autre part qu’il tient là de futurs fers de lance scéniques, prétextes à une série de concerts bruxellois qui ne peuvent décemment pas décevoir.
Si l’on accepte donc qu’un artiste, qui plus est une institution, se contente de refaire le même disque avec d’infimes variations et un savoir-faire intact, il n’y a aucune raison de bouder son plaisir. Comme la plupart des spiritueux, la musique d’Arno se déguste avec d’autant plus de finesse et d’élégance qu’elle accuse son âge. Un album de l’Ostendais n’a donc pas grand-chose à voir avec le beaujolais nouveau ; c’est une liqueur qu’on ressort de temps en temps et dont on connaît le goût par cœur. S’il faut en attendre quelque chose, c’est bien que les années écoulées l’aient fait gagner en suavité.
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