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Lonely Drifter Karen - Fall of Spring

vendredi 23 avril 2010, par Laurent

Ruée vers l’ocre


Ce deuxième album de Lonely Drifter Karen porte terriblement mal son nom. Au lieu de s’appeler "Fall of Spring", il aurait dû s’appeler "Spring to Fall". C’est que, depuis une première galette qui se dégustait avec beaucoup de plaisir pour son charme printanier mais quelque peu suranné, le trio apatride – une Autrichienne, un Espagnol, un Italien, désormais réunis dans la capitale de l’Europe – a plutôt opté pour la ruée vers l’ocre. Et les chansons déjà sépia de "Grass Is Singing", façon Amélie Poulain beurrée au Pink Martini, de perdre un peu plus de leurs couleurs pour gagner en grisaille comme en densité.

Bien entendu, la fraîcheur reste le maître mot de ces escapades anachroniques, mais les derniers vestiges de niaiserie l’ont désertée pour de bon. Il n’y a pas longtemps, Brisa Roché ou Clare & the Reasons avaient suivi un chemin identique, mais le cap franchi aujourd’hui par Tanja Frinta et ses deux acolytes, révélé à force d’écoutes qui dévoilent chaque fois de nouvelles richesses, place distinctement Lonely Drifter Karen deux ou trois coudées au-dessus du tout-venant rétro-pop qui abreuve les pubs pour compagnies d’assurances.

Bien sûr, les ingrédients du genre sont là, aucun ne manque à l’appel : du sifflotement qui vous poursuivra sous la douche (Show Your Colours) jusqu’au refrain nu-soul contagieux (Ready to Fall) en passant par l’incontournable ukulélé. Ça ne dispense pas de surprendre de temps à autre, comme quand la fin de Russian Bells envoie valdinguer son image proprette ou que la piquante A Roof Somewhere donne l’impression d’entendre Jeanne Cherhal qui se serait mise au flamenco.

De même, on aurait pu s’attendre à ce qu’aucun morceau ne dépasse les 3’30, mais Lonely Drifter Karen a gardé les plus longs – et les meilleurs – pour la fin : sur Seeds, le groupe invite l’ensorcelante Emily Jane White à lui donner un petit coup d’ailes, tandis que Wonderous Ways offre un splendide finale nocturne. Quant à Side By Side, c’est le genre de balade glamour que Rita Hayworth aurait pu chanter dans "Gilda" – ou Jessica Rabbit, dans le film sur son mari. Il y a aussi une très jolie ritournelle appelée Julien et qu’il faut faire écouter d’urgence à votre pote, votre oncle ou votre petit ami – puisque vous en connaissez forcément un – sans oublier la guitare fantôme d’Eventually, peut-être bien la perle du lot.

Dans un bastringue perdu au milieu des marais de Louisiane, Tanja Frinta chante : « Why are you so passive ? » D’ici, on jurerait l’entendre demander : « Why are you so passé ? » Et on serait tenté de lui répondre, à l’écoute de ses chansons si évidentes qu’on est persuadé de les avoir déjà entendues dans une quelconque autre vie en noir et blanc, que son passéisme n’a rien d’un écueil. Pas tant anachronique qu’intemporelle, sa musique possède bien plus de complexité que son parfum de cliché ne voudrait le faire croire, et bien moins de verdeur naïve que de gravité automnale.


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