Accueil > Critiques > 2010

Sophie Hunger - 1983

jeudi 29 avril 2010, par Laurent

Belle fringale


1983 est l’année de naissance de Sophie Hunger. La Suissesse a donc récemment fêté son 27e anniversaire et est entrée dans l’âge canonique du rock. Son parcours, cela dit, ne fait que commencer et on compte bien le suivre encore un bout de temps, car ce deuxième album officiel lui confirme un statut de valeur sûre. Découverte l’année dernière avec un "Monday’s Ghost" de très bonne facture, Sophie Hunger creuse ici encore le sillon d’une écriture décharnée, mais magnifiée par des ambiances ouatées qui suspendent ses chansons au vide, quelque part entre les terres brûlées de PJ Harvey et les nuages humides de Frida Hyvönen.

On retrouve donc ses montées en puissance subtiles (Citylights Forever), ses refrains tournoyants (Lovesong to Everyone) et, à défaut d’un ton toujours policé, c’est le son qui s’est un brin durci. Ainsi, sur le surprenant Your Personal Religion, elle commence par mettre en scène l’explosion et passe la fin du morceau à éteindre l’incendie. Mais revenons au commencement : "1983" s’ouvre sur un morceau qui définit brillamment les enjeux. Leave Me With the Monkeys, à peine orchestré, se laisse porter par des harmonies vocales sur lesquelles Hunger a faim de soul. Une belle fringale qu’elle continuera à rassasier par la suite, sans beaucoup plus d’artifices.

Hormis l’harmonica de Broken English, quelques discrètes notes de trombone ou de flûte disséminées çà et là, la base est résolument rock – batterie, basse, guitares et basta – du moins sur la première moitié de l’album, la seconde étant plus globalement vouée à la cause du piano. Le tempo se fait alors occasionnellement plus lent, comme sur ce Train People qui clôt le parcours à nu, ou D’Red qui nous emmène dans un jazz-club à la fin de nuit, quand il ne reste plus qu’un verre de whisky et le chagrin qu’on aimerait y noyer. Sophie Hunger y chante en dialecte suisse alémanique, ce qui n’enlève rien à la beauté de l’instant, bien au contraire.

L’allemand de Goethe est également mis à l’honneur sur la plage titulaire, qui repose quant à elle sur un riff de harpe et s’offre le luxe d’être la plus persuasive, pour ne pas dire la plus pop du lot. Et puis, comment enregistrer son disque en France sans se frotter à l’idiome local ? C’est donc ce que fait Sophie Hunger sur l’autre petit bijou de l’album, une reprise de Le Vent Nous Portera de Noir Désir. Adaptant la progression d’accords d’une manière qui rappelle le Reckoner de Radiohead, la chanteuse livre une interprétation encore plus éthérée que l’original : une totale réussite. On peut donc affirmer que "1983", s’il ne marquera pas forcément 2010 d’une pierre blanche, s’annonce à tout le moins comme le meilleur album de pop-rock helvétique de l’année.


Répondre à cet article

  • The Smile - Wall of Eyes

    Même en 2042 et après avoir sorti 13 albums réussis, The Smile restera ’le groupe des deux types de Radiohead’. C’est comme ça, le groupe d’Oxford est trop ancré dans la culture pop pour passer au second plan de quoi que ce soit. Mais cette encombrante et inévitable figure tutélaire ne doit pas oblitérer les qualités indéniables de The Smile. Les deux protagonistes, flanqués du batteur Tom Skinner au (...)

  • PJ Harvey – I Inside The Old Year Dying

    C’est un phénomène que j’ai du mal à m’expliquer. Il m’est difficile voire impossible de me plonger dans des œuvres récentes d’artistes que j’ai beaucoup aimés il y a longtemps. Si dans certains cas c’est la qualité de leurs albums qui est l’explication la plus facile (Muse, The Killers, Foals...), c’est plus mystérieux en ce qui concerne Radiohead, Nick Cave ou PJ Harvey.
    Il faut dire aussi qu’elle a pris (...)

  • Ralfe Band - Achilles Was A Hound Dog

    Outre un flair hors-normes pour dégotter des talents très actuels (Nadine Khouri, Raoul Vignal, Emily Jane White...), Talitres a aussi le chic de remettre en selle des formations culte. A l’instar de Flotation Toy Warning ou The Apartments, Ralfe Band était passé sous nos radars et c’est le label bordelais qui nous le signale.
    Et il fait bien. Si les albums précédents du groupe d’Oly Ralfe datent (...)

  • The Veils – ...And Out of the Void Came Love

    The Veils est ancré à l’histoire de ce site puisqu’à peu de choses près ils avaient constitué un de nos premiers coups de cœur, en 2004. On avait évidemment suivi toute leur discographie, noté qu’ils étaient absents depuis un petit temps mais il faut être honnête, on avait un peu oublié l’album solo de Finn Andrews. En une heure et quinze morceaux, un des albums de l’année fait le tour du propriétaire et des (...)