samedi 8 mai 2010, par
Morue aux fraises
Hawksley Workman. Un cas atypique, vraiment. Il faut resituer le bonhomme. Prolifique songwriter canadien, il a entamé sa carrière discographique il y a une bonne dizaine d’années en se présentant sous son meilleur jour : barde sensible lorgnant vers une pop biscornue ; puis il a poussé le bouchon plus loin en exploitant à fond son côté frivole, avant de revenir avec un cinquième album éthéré – et les concerts qui allaient avec, apaisés mais aussi moins surprenants. Workman a également signé une poignée de disques auto-produits et vendus à ses shows. Il y a deux ans, il sortait coup sur deux albums antithétiques : un joli recueil de ballades automnales et un autre bourré de rock discoïde moule-burnes franchement putassier.
Sorte de chaînon manquant entre Jeff Buckley et Mika, c’est peu de dire que ce garçon est un paradoxe vivant. Se refusant possiblement à choisir entre ces deux extrêmes, Hawksley Workman a donc décidé de les enchevêtrer. Mais comme l’a expérimenté un célèbre garçon de bureau, assaisonner de la morue avec des fraises n’est pas du goût du plus grand nombre. En l’occurrence, il serait plutôt question de mélanger de la viande et du lait. Ce qui, s’il s’agit d’escalopes de veau et que vous y ajoutez un peu de chianti avant de faire revenir à feu doux, n’est pas forcément une mauvaise idée. Sauf que “Meat” et “Milk” sont ici les deux volets d’un double album et, contrairement à ce que j’avais envisagé, n’incarnent pas chacun un versant distinct de la personnalité du musicien.
Sur les deux galettes, il impose donc cette même saveur sucrée-salée qui gâche le potentiel de plus d’un morceau en noyant trop d’ingrédients dans la même pâte. Quid alors de cet emballage conceptuel ? L’explication la plus plausible, au vu des notes de pochette, est qu’il s’agit de deux albums réalisés séparément et rassemblés, peut-être en dépit du bon sens, par une maison de disques cherchant à rentabiliser la créativité de l’artiste. Hypothèse pessimiste, je vous l’accorde. Sur “Milk”, Hawksley Workman partage l’écriture et la réalisation – essentiellement avec le Suédois Mårten Tromm – et, il est temps de le dire, ces collaborations le font renouer avec ses plus bas instincts.
Non content de ressembler à Pascal Obispo sur les photos du livret, il ouvre son disque par un r’n’b disco louche (Animal Behaviour), ce qui n’est pas si déroutant pour qui se souvient de son petit chef-d’œuvre Smoke Baby, mais se révèle ici plutôt gluant. Il y a plusieurs bonnes idées ailleurs (le sautillant Google Jesus et sa rythmique 8-bit, la cold wave cybernétique de Robot Heart) mais globalement, Workman a plutôt tendance à renchérir dans l’indéfendable (Stay Drunk and Keep Fucking est plus vulgaire qu’un hard rock FM de l’âge d’or de MTV, Devastating dégouline littéralement et We Dance to Yesterday a des prétentions power pop, mais n’est pas Weezer qui veut).
Il est d’autant plus dommage de constater que certains bons morceaux sont tout simplement mal attifés, comme Warhol’s Portrait of Gretzky ou ce Some People qui démarre comme un mauvais remix de Paul Oakenfold. Bref, pas grand-chose à sauver de ces douze titres... et il en reste encore onze à s’enfiler. Pourtant, bien que “Meat” ne varie pas fondamentalement la recette, le dosage la rend nettement plus digeste. Cette fois, Hawksley Workman est pratiquement seul aux manettes – le dénommé Stew Crookes coproduit, mais est-ce que ça intéresse quelqu’un ? – et semble avoir réfréné ses penchants pour la mélasse. Dès lors, le voyage est nettement plus agréable.
Les différents éléments trouvent plus facilement leur place : Song for Sarah Jane signale d’emblée le changement de ton en s’appuyant sur un piano d’outre-tombe, French Girls in LA est ponctué par de jouissives envolées de flûtiau, et même le slow braguette de rigueur (Baby Mosquito) sort parfois sa tête de la guimauve. Plusieurs pièces jouent judicieusement sur la distorsion ou le feutrage (Depress Hangover Sunday, très bon) et échappent ainsi aux dérives kitsch qui minent la quasi-totalité de “Milk”. Il reste bien quelques fautes de goût (le solo synthétique de The Ground We Stand On est particulièrement atroce), mais l’ensemble aurait pu constituer un simple album relativement digne.
D’autant qu’on y trouve aussi un vrai morceau de bravoure. En huit minutes, You Don’t Just Want to Break Me (You Want to Tear Me Apart) commence par dérouler une sobre ballade, froide et machinale, avant de virer au blues désincarné pour finalement basculer dans une jam cosmique proprement hallucinée. Répété ad libidum, le titre finit par gagner la chair, et l’on est à son tour transporté par ce mélange de chagrin et de mépris adressé à Dieu sait qui. Maigre butin, mais tout de même : Hawksley Workman n’a pas encore tout perdu de sa superbe. C’est peut-être sa propension à vouloir bouffer à tous les râteliers qui l’amène à produire des albums inégaux. Cela dit, on ne peut pas dire que le titre du dernier en date trompe sur la marchandise : sur “Meat / Milk”, il y a effectivement à boire et à manger.
Après la rédaction de cet article, j’ai préparé des escalopes alla fiorentina. Je n’avais pas de chianti, alors j’ai mis du porto : ça marche aussi.
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