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Katel - Decorum

lundi 17 mai 2010, par Laurent

Les sens et le cortex


Jusqu’à présent, 2010 a plutôt été avare de cette chanson française de qualité qui excite autant les sens que le cortex. Une année sans Dominique A, un lustre sans Christophe, une vie sans Bashung, autant d’absences qu’il faut apprendre à pallier. On aurait pu trouver refuge chez la jeune garde en se tournant vers quelque femme forte, mais d’aucunes ont déjà révélé leurs fragilités. De leur premier à leur second album, de graciles espoirs tels qu’Etyl, Le Prince Miiaou ou Orly Chap’ ont réussi à faire maturer leur art mais y ont quelque peu perdu en intransigeance. Restait encore à voir quelle succession la Parisienne Katel allait pouvoir offrir à “Raides à la Ville”, prologue discographique aussi enthousiasmant que réfléchi.

Soyons clair : si “Decorum” n’est pas le miracle attendu, il n’en distille pas moins de réels instants de grâce et donne quelques leçons de maîtrise à Jeanne Cherhal, dont le dernier album – malgré toute l’admiration que je voue au maître des lieux – est tout de même faiblard. Vocalement, les deux artistes sont très proches, ce qui rend presque logique la présence de Cherhal sur “Decorum” et le duel choral auquel elles se livrent Chez Escher. Mais ce qui marque la plus-value de Katel, c’est la puissance d’évocation symboliste des textes ainsi que la force d’équilibre des arrangements, profondément baroques tout en privilégiant la retenue.

L’intelligence du traitement et de l’exécution, dans la forme comme dans le fond, rappelle indéniablement Claire Diterzi, seule chanteuse de la génération précitée à avoir su maintenir le cap entre ses deux premiers opus. Katel possède le même supplément de savoir-faire et le met en œuvre dans des litanies mortuaires (Mon Vieil Ami, Vacante, Tombée dans l’Escalier), des ballades pop-rock victoriennes (Hurlevent, Decorum) voire de vraies incursions du côté de chez Elista ou Autour de Lucie (Quelque Chose Qui Nous Suit, Vue sur le Ring). Qu’elle joue sur l’énergie (Le Chant du Cygne, avec des chœurs détraqués signés Nosfell) ou sur les ambiances (l’électro vaporeuse de La Bouche), Katel ne cède en tout cas jamais à la facilité.

« Je suis une muse / Ou une putain / Avant la fin / Tu n’en sauras plus rien. » Même pas vrai : lorsque se sera tue la basse cold des Parfums d’Été, dernier morceau 100% rock, on aura définitivement été happé par une œuvre inspirante et inspirée, sans le moindre soupçon de racolage. Certes, si la séduction opère, elle ne se départ pas d’une certaine dose de froideur. L’art de Katel est éminemment cérébral, ce qui constitue à la fois sa principale force comme sa limite ; cela ne suffit pourtant pas à la suspecter de monnayer des émotions calculées. Tout ici respire la sincérité, mais une sincérité posée, circonspecte, qui impose la reddition. « Je suis partie d’ici / Pour vous ressembler / Me revoilà sauvage / Vous voici dompté. » Autant capituler.


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