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Plan B - The Defamation of Strickland Banks

jeudi 24 juin 2010, par Laurent

Bon plan


Il est toujours intéressant de constater que ce qui fait la pluie et (rarement) le beau temps outre-Manche n’aura pas si souvent les faveurs du continent. Vu d’ici, cela semble parfaitement logique mais musicalement parlant, cela tend à prouver que les cultures locales ne cessent de s’émanciper par rapport à l’antique modèle anglo-saxon. Disons en tout cas que contrairement à maints poppeux ou rockeurs européens qui visent à la fois l’universalité du fond et le niveau international de la forme – en un mot, l’exportation – la plupart des artistes anglais font honneur à la mentalité insulaire de leurs compatriotes euros(c)eptiques en proposant une musique profondément ancrée dans leurs propres racines. Or, comme on sait que les Britons ne font rien comme les autres, il n’est plus étonnant de voir qu’un disque platiné chez eux reste pour ainsi dire absent de nos rayons.

C’est le sort qui aura donc été réservé au deuxième album de Plan B, a.k.a. Ben Drew, rappeur certes hardcore mais pas dépourvu de potentiel commercial, et pourtant moins anglocentré dans son propos que la superstar Mike Skinner. Un sort d’autant moins justifié que sur “The Defamation of Strickland Banks”, concept-album sur la déchéance d’un chanteur condamné pour un crime qu’il n’a pas commis, Drew se réinvente de A à Z en réhabilitateur masculin d’une certaine northern soul. On peut légitimement se demander pourquoi les lauriers reviendraient exclusivement aux Duffy, Rox ou Amy Winehouse – fort respectables au demeurant – dès lors qu’un garçon ravive si intelligemment la flamme d’un Smokey Robinson en y jetant régulièrement des gerbes de magnésium hip-hop.

Il n’est pas trop tard pour se rattraper. Non, Ben Drew n’est pas un gangster opportuniste qui s’est soudain rendu compte qu’il savait chanter et en a profité pour retourner sa veste. C’est un authentique soul man né les pieds dans le béton et qui a mis du temps à trouver sa voie, ou qui ne voit à tout le moins aucune raison de n’en choisir qu’une. Les morceaux baignent ainsi dans une production tout à fait vintage, dénués des artifices pop des Mark Ronson, Bernard Butler et consorts, mais Ben Drew ne rechigne pas pour autant à poser son flow rageur sur un bon tiers de l’album. C’est une rage saine, celle des victimes de délits de faciès ou de contrôles abusifs, qui l’anime sur Stay Too Long. Sur le génial She Said, on a même beaucoup de mal à croire que le falsetto qui couine pour les filles et l’organe viril qui rappe pour les garçons appartiennent à la même personne.

Et ça marche aussi en version 100% bio : qu’il fasse dans le tout miel tendance Al Green (Love Goes Down, Hard Times, I Know a Song) , le versant sunshine des Foundations (Free, Writing’s on the Wall) ou le chœur en avant façon Temptations (Welcome to Hell, Trapped in My Cigarettes), Ben Drew ressuscite ses référents avec un aplomb de grande gueule et un cœur d’artichaut. Occasionnellement plus porté sur la pop grandilo-kitsch des Four Seasons (Prayin’, qui partage avec l’ultra standard Beggin’ bien plus que la ressemblance du titre), Plan B est au top lorsqu’il brouille à nouveau les pistes soul et hip-hop sur des cascades de violons (The Recluse, Darkest Place). Très franchement, on voudrait pouvoir être sujet britannique l’espace d’un instant juste pour dire qu’on a raison. Seulement prophète en son pays, Ben Drew aligne là 13 pépites qui transcendent les frontières, les générations et les couleurs, de peau comme de voix ; bref, un sans-faute. J’adore quand un Plan B se déroule sans accroc.


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