lundi 29 novembre 2010, par
Profondeur et légèreté
Il est de ces artistes dont on se demande chaque fois s’ils ne regretteront pas un jour d’avoir choisi leur pseudonyme selon des critères un tantinet puérils. Des formations telles que Fuck ou Shit Robot auraient sans doute des choses à dire à ce sujet, et on les imagine, à vrai dire, réunis dans quelque thérapie de groupe (de rock) pour partager leur expérience.
– Bonjour, nous sommes les Fuck Buttons.
– Bonjour, Fuck Buttons ! (collégial)
– Alors voilà. Les radios ne passent pas nos singles, MTV nous a rebaptisés Stuck Buttons pour diffuser nos clips, du coup personne ne nous trouve sur iTunes. Les gens ont honte de dire qu’ils vont à nos concerts, ils disent qu’ils vont voir Caribou. Et nous… et nous... bouhouhouuuu !
– Allons, allons.
Les malentendus sur son groupe, Stef Irritant doit en être familier depuis qu’il a un jour eu l’idée un brin allumée de lui donner un nom implicitement zoophile, à rallonge qui plus est. Peu de points communs pourtant avec le trash metal ou la techno doom auxquels on aurait pu précipitamment l’associer, ce qui eut rebuté plus d’un curieux devant une borne d’écoute : Kiss the Anus of a Black Cat pratique une sorte de blues chamanique, modérément porté sur l’électricité et, quoi qu’il en soit, éminemment accessible.
Si, par le passé, on aurait dû parler de drone folk, le présent album – au titre tout aussi décourageant à épeler – offre un grand supplément d’espace et de limpidité à la musique d’Irritant – encore un patronyme trompeur. L’invitation à la transe n’en est pas moins explicite : le tourbillon de fausse accélération à la fin de Taking the Auspices ou les invocations païennes de Harrow n’ont d’autre intention que d’ouvrir nos perceptions étriquées à quelques hallucinations sacrées, quelque part entre les danses iroquoises, la fièvre vaudou et les visions sibyllines de la pythie de Delphes.
Impossible de ne pas penser à Current 93 : ce qui peut s’apparenter ici ou là à une influence évidente tourne ailleurs au mimétisme, comme sur l’introduction de Veneration, où la voix semble habitée par un véritable esprit maléfique. Sauf que là où la secte de David Tibet nous égare parfois dans ses inquiétants labyrinthes, Kiss the Anus of a Black Cat ne perd jamais de vue la porte de sortie et nous y mène par le chemin le plus sûr. Selon les conceptions, on verra là un aveu de faiblesse ou, au contraire, une forme de supériorité qu’on hésite à qualifier de pop.
Preuve tout de même de ses intentions d’ouverture, “Hewers of Wood & Drawers of Water” s’autorise quelques collaborations au discret parfum d’aventure, en particulier lorsque l’organe mutin d’An Pierlé vient, sur la plage titulaire, pousser sa complainte lumineuse. D’une impeccable clarté noire, réussissant le pari d’allier profondeur et légèreté, ce disque parvient à creuser des gouffres effrayants sans jamais s’y enliser. On le parcourt en sachant pertinemment qu’on ne doit rien craindre de l’obscurité, et il finit même pas nous la rendre amicale. Pas de doute, certains cauchemars nous veulent du bien.
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