mardi 8 février 2011, par
Hello Kitty
Si le genre n’existe pas encore, il est plus que temps de l’inventer : celui du rock blanc à chanteuse d’origine japonaise. D’Asobi Seksu à Blonde Redhead, de Nedry à Little Dragon, on ne compte plus ces formations qui immergent leurs sonorités tapageuses dans les brumes d’un organe tendrement mutin, furieusement rêveur. À croire que ce cliché de la jeune Tokyoïte en tenue d’écolière, capable – à force de gloussements et de bonds extatiques – de masquer les pires horreurs sous un ruban rose bonbon, ne connaît meilleure illustration qu’en se confrontant à la musique occidentale. On ne s’étonnera donc plus qu’il ait la vie si dure, ni que Deerhoof et sa vocaliste Satomi Matsuzaki continuent de l’entretenir avec un sens si prononcé du contraste.
Deerhoof, c’est d’abord cette découverte faite il y a un lustre à Amsterdam, en première partie d’un concert de Radiohead – un conseil : ne jamais rater les premières parties de Radiohead. On se souvient de ce batteur fou, marquant des rythmes parfaitement absurdes, de ce guitariste savamment à contre-temps, et bien sûr de cette petite créature au chant tantôt puéril, tantôt hurlant ses haïkus tout en malmenant sa basse. En bref, une expérience suffisamment insolite pour confirmer à Deerhoof son statut de charmant ovni dont les albums, à rebours de l’aventure, se révélaient d’efficaces antidotes à la morosité. Cela n’a pas empêché leur discographie de s’orienter, par la suite, vers des horizons de moins en moins cabossés.
Revoici donc les délurés San Franciscains, annonçant fièrement leur lutte contre le mal comme un trio de chevaliers galactiques menés par une peluche Hello Kitty. À qui s’adressent ces résolutions belliqueuses ? À l’industrie du disque et son armée de clones, que Deerhoof s’apprête à terrasser à coups de mélodies tordues ? Aux méchants robots de la bienséance musicale, auxquels le groupe va confronter son insoumission magnifique ? Au confluent de ces nobles combats, Deerhoof semble surtout décidé à vaincre toute résistance à son art insolite de la séduction. Plus accessible que jamais, “Deerhoof vs. Evil” exploite par moments une veine dream-pop jamais exempte de trouvailles et d’expérimentation, mais bien moins encline qu’autrefois à se regarder niaisement le nombril.
Est-ce là la principale force de ce, disons, septième opus, ou sa première faiblesse ? Toujours est-il que, chanté ou non en catalan (Qui Dorm Només Somia, premier titre manifeste), le rock très aéré de Deerhoof ressemble de plus en plus à une auberge espagnole. Des titres tels que Behold a Marvel in the Darkness ou Hey I Can rappellent d’ailleurs franchement les ravissants Ibères de Klaus & Kinski, et on aurait bien imaginé le disque enregistré dans la péninsule s’il n’était, une fois de plus, le fruit de bidouillages au fin fond d’un garage. Par ailleurs le propos se fait fort de ne pas brouiller les anciens repères, en convoquant les habituelles ficelles noise héritées d’une lointaine jeunesse sonique (The Merry Barracks, I Did Crimes for You).
Mais le glaçage fait aujourd’hui partie intégrante de la recette, et chaque part du gâteau renferme sa dose de ganache, des fantaisies surannées (Super Duper Rescue Heads !, Secret Mobilization) aux capsules psychédéliques pas si éloignées de la Go ! Team (Let’s Dance the Jet). Toujours aussi déjantée et ambitieuse derrière ses airs de ne pas y toucher, la musique du désormais quartette – depuis “Offend Maggie” et ses premiers clins d’œil au grand public – reste pourtant une drôle d’affaire, une escapade acidulée aussi fraîche que secouante (Almost Everyone Almost Always, vrai concentré de mal de mer). Deerhoof aura-t-il gagné la bataille contre ses propres démons ? À entendre le groupe perpétuer sa démence, c’est finalement loin d’être sûr.
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