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The Dears - Degeneration Street

mardi 8 mars 2011, par Laurent

Chaîne évolutive


The Dears. Combien de groupes portent leur nom avec autant d’explicite légitimité que cette formation chérie ? Une discographie impeccable de cohérence et d’exigence, des concerts envoûtants où l’héroïsme rejoint la préciosité, un frontman déchiré entre ardeur rock et maniérisme prog, chaînon manquant entre Win Butler et Morrissey : de quoi se jouer des précipices et défier la pesanteur, au risque de passer pour ridicules – ou pire, inaperçus. Car tandis que leurs compatriotes d’Arcade Fire acquéraient sans peine leurs galons de groupe majeur, les Dears conservaient pour leur part leur statut d’artistes cultes, et la caution qui va avec : celle de la confidentialité.

Or de culte à maudit, il y a cette ligné ténue, cette corde raide que Murray Lightburn s’est empressé de franchir, dissolvant à diverses reprises son line-up exception faite de Natalia Yanchak, madame Lightburn dans la vie civile. Le dernier remaniement en date tenait même du jeu de chaises musicales et le résultat, “Missiles”, avait pourtant été boudé injustement, tant l’élasticité de ses envolées en prolongeait la beauté. À l’heure du cinquième essai, le couple s’est rabiboché avec plusieurs de ses anciens employés et reformule le propos compacté de “Gang of Losers”, se permettant au passage de rallonger le tracklisting jusqu’au nombre un rien gourmand de quatorze morceaux.

La bonne nouvelle, c’est que les Dears nous servent là une heure de musique comme on les aime : sans la moindre minute d’ennui. Dès Omega Dog, on reconnaît les ingrédients qui font le sel et le son des Canadiens : une musique glaciale de prime abord, mais consumée par un feu intérieur qui tient autant à ses guitares incisives, à la limite des démonstrations hard rock, qu’aux arrangements synthétiques spacieux et spatiaux hérités des plus grandes heures de la musique astronautique ; et bien sûr, à la voix pétrie de soul de Lightburn, qui chante mieux que jamais sur cet album où l’épique (5 Chords, véritable porte-étendard) le dispute à l’aride (Blood, qui donne envie de se remettre à l’air guitar).

Comme toujours, mais plus encore qu’auparavant, il est saisissant de constater combien les Dears n’utilisent jamais que les codes d’un rock lyrique de convention pour en tirer une matière émouvante, à défaut d’être inédite (Thrones, Stick w/ Me Kid). Payant leur tribut aux Manic Street Preachers, ils parviennent heureusement à déjouer les pièges de la surenchère baroque, en sachant se révéler glorieusement outranciers tout en oubliant d’être patauds (1854). La différence, bien mince affaire, est une question d’intensité ; or celle qui se dégage d’un titre tel qu’Unsung ne laisse planer aucun doute quant à la place des Dears au sommet de l’échelle évolutive, quelque part entre Arcade Fire et les Veils.

Capables d’escales pop limpides (Yesteryear) comme de splendides débordements de fièvre gospel (Galactic Tides ou Tiny Man, fantastiques déluges ascensionnels), les Canadiens signent avec “Degeneration Street” leur collection de chansons les plus denses et les plus abouties. Album dont l’immense richesse n’a d’égale que l’évidence, cette vraie simplicité cachée sous les nombreuses couches de vernis, le dernier effort du groupe couronne une décennie de perfectionnisme romantique. Les pharisiens du rock et autres défenseurs du juste milieu vont adorer le détester – ou pire, l’ignorer. Pour les autres, c’est certain, il ne rendra les Dears que plus chers encore.


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