vendredi 15 juin 2012, par
Il faudrait peut-être créer une section spéciale pour ces artistes singuliers, qui traitent la mélancolie comme une matière première solide, qui peut prendre des formes différentes. Je vais donc vous présenter un nouveau chanteur un peu plaintif de l’état de Washington, qui s’inscrit comme peu dans les tendances de l’époque.
C’est important un premier morceau, ça permet à l’auditeur de prendre ses marques, et à Phil Elverum de déclarer ses intentions, avec ou sans douceur. Cette entrée en matière est bien engageante, avec un morceau acoustique qui évoque l’impeccable mélancolie de groupes comme Marble Sounds ou Gravenhurst, avec en sus une voix féminine en appui. Ce que nous dit ce premier morceau, c’est qu’on va entendre des chansons, que sous les couches de son qui vont se succéder, il y a une écriture traditionnelle, que la voix n’est pas un gadget remis en bout de processus de composition.
Cette introduction est utile, parce que la suite sera plus déviante, s’éloignant du feu de camp pour avancer franchement dans les bois, hors des sentiers. Mais pas trop loin quand même. The Place Lives présente quelques similitudes avec le premier morceau. La voix par exemple, reste aussi discrète et mélodique, alors qu’autour d’elle tout a changé, qu’une lourde tension qui tient plus du post-rock a pris les choses en main. En deux morceau, le spectre est balayé, et l’ampleur est impressionnante.
Comme souvent lorsqu’il s’agit de définir un artiste qu’on découvre, on se prête au jeu facile des évocations, qui peuvent varier de morceau en morceau. On pense parfois à ce que Gravenhurst pourrait faire s’il abandonnait la guitare, ou alors une version atmosphérique de Loney, Dear, voire encore du Dead Can Dance post-moderne (Over Dark Water), Clear Moon se rapprochant plus de la sculpture sur son de This Will Destroy You. House Shape est quant à lui ce qu’aurait pu faire My Bloody Valentine s’ils n’avaient pas eu pour préoccupation principale de martyriser des amplis. De plus, il ne s’empêche pas une certaine pulsation (House Shape), ou des chœurs suspendus comme Au Revoir Simone (The Place I Live). Le risque, c’est qu’un morceau chute par perte de vitesse. Mais le garçon est malin, et c’est là qu’il sort de sa manche des cuivres traficotés sur Lone Bell. Quand on pense qu’il y a un autre album prévu cette année (Ocean’s Roar), on se dit qu’on n’est pas au bout de nos comparaisons approximatives.
Certaines personnes perçoivent mieux que d’autres l’air du temps. D’autres se cantonnent à le suivre. Il est très difficile de dire comment cette émanation de 2012 va résister au temps, mais bien honnêtement c’est une question secondaire, parce que cette propension à mêler une recherche sur les textures sonores à une écriture finalement assez classique est symptomatique de cette époque qui pense que le salut viendra par le son, sonnant peut-être le glas de ceux qui misent encore tout sur la tension et sa décharge en travaillant le son à l’ancienne. C’est toi que je regarde, post-rock. La musique est aussi affaire d’évocations et cet album pourra séduire. Sans doute moins pour son assemblage que pour l’ambiance générale qui s’en dégage, assez rêveuse et intense à la fois.
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