Accueil > Critiques > 2017

Wire - Silver/Lead

mercredi 5 avril 2017, par Mathusalem


Wire fête ses quarante années d’existence… On vous le concède, c’est insignifiant sur l’échelle de l’histoire des hommes, mais ça frise l’infinitude sur celle de la pertinence musicale.

On commence doucement à se lasser d’expliquer à quel point leur coups de patte musicaux (surtout ceux de la fin des seventies) modelèrent les diverses tendances de la scène actuelle, à quel point aussi ils restent en phase avec la vie musicale présente, désarmants de discrétion.

On vous épargnera aussi la sempiternelle évocation de La fabuleuse trilogie mythique pour en arriver à l’essentiel… les années passent, et ces gens surprennent toujours.

Wire, c’est une entité vivace, mobile, tonique, élastique sans être flasque, qui a horreur de la routine et du convenu au point de se saborder lorsqu’elle se sent tourner en rond. Cette incorruptible intégrité expliquant en grande partie le mystère de leur renommée si confidentielle. Mais on soupçonne aussi la bande à Colin Newman de s’en foutre complètement, on pense même que tout cela est voulu, que cette absence de plan de carrière en serait peut-être déjà bien un en soi.

Instable, remuant, libre de toute contrainte, l’inoxydable combo peut donc, au gré des décennies qui lui glissent dessus sans dommage apparent, se tapir et sortir du bois en frappant là où il veut, quand il le veut, comme il le veut. Et il semblerait que l’entité tour à tour géniale, féconde, explosée, discrète, en dormance se soit depuis quelques années réveillée hyperactive.

On avait pourtant eu quelques craintes pour elle en 2004, lors du départ de Bruce Gilbert, jusqu’à ce que le très bon Object 47 (2008), nous laisse présager d’une guérison totale, Red Barked Tree (2011) confirmait la chose, un peu trop même, on savait la bête allergique à la routine… On s’attendait donc à être, sous peu, un tantinet étonnés, Change Becomes Us (2013) était parfait pour ça, mais Wire peut faire bien mieux que de démontrer aux curieux l’implacable efficacité de quelques mélodies passées, volontairement sacrifiées sur l’autel de l’intransigeance.

En 2015 Wire sortait Wire, une éponymie en forme de rouleau compresseur sonore, une démonstration pesante et linéaire de leur aversion pour le compromis.

2016… C’est l’année où Colin Newman s’amuse, et là, ce sont les tripotages de consoles qui surprennent, c’en est fini du ronronnement des engins de chantier, on est en pleine surenchère de sonorités volatiles… Pour être honnêtes, ici, on avait adoré Nocturnal Koreans

2017...Il y a quarante ans sortait Pink Flag, comme on sait le groupe bien trop déroutant que pour se soucier d’un anniversaire, on accueille donc Silver/Lead pour ce qu’il est… Un album à part entière, aux antipodes d’une vulgaire commémoration.

On savait aussi qu’on allait probablement être déconcertés, on en a pris l’habitude, mais on ne s’attendait pas à l’ être à ce point, il faut dire qu’ils avaient bien brouillé les pistes en balançant il y a quelques semaines sur la toile l’hypertonique Short Elevated Period , single a posteriori peu en phase avec le reste de l’album…
Parce que Silver/Lead, c’est avant tout un état d’âme où règne une certaine mélancolie, un apaisement plus apparenté à la pause transitoire qu’à la résignation, une sorte de regard sensible et désillusionné sur l’existence, très éloigné de ces arrogants coups de lames soniques qui furent fréquemment leur marque de fabrique… Les riffs cassants sont toujours présents, à la fois actuels et désuets, à l’image du look de l’Eastwood Airline de Newman, mais ils sont également dépouillés, parfois Glam (On songe à Marc Bolan dans Diamonds In Cups), parfois Shoegaze (Short Elevated Period) et délivrés la plupart du temps avec une lenteur suscitant plus la réflexion que l’envie de mouvement.

Et puis il y a ces titres… Ce Forever & A DayGraham Lewis réitère un Darling, I Want You To Stay totalement inattendu de la part d’un groupe privilégiant les textes abscons, où même ce Sleep On The WingRobert Grey déploie un insoupçonnable jeu Jazzy.

Et surtout, surtout… Il y a l’éblouissant et désabusé Sonic Lens, véritable exercice de style où l’abattement enlace l’épique… Bouleversant.

En se frottant, avec l’aride sobriété qu’on leur connaît, à l’émotionnel, Wire s’extirpe, l’espace d’un album, de sa cuirasse Arty et se met à nu.
Silver /Lead frappe fort, pour mieux surprendre encore… Et c’est remarquable.


Répondre à cet article

  • PJ Harvey – I Inside The Old Year Dying

    C’est un phénomène que j’ai du mal à m’expliquer. Il m’est difficile voire impossible de me plonger dans des œuvres récentes d’artistes que j’ai beaucoup aimés il y a longtemps. Si dans certains cas c’est la qualité de leurs albums qui est l’explication la plus facile (Muse, The Killers, Foals...), c’est plus mystérieux en ce qui concerne Radiohead, Nick Cave ou PJ Harvey.
    Il faut dire aussi qu’elle a pris (...)

  • Ralfe Band - Achilles Was A Hound Dog

    Outre un flair hors-normes pour dégotter des talents très actuels (Nadine Khouri, Raoul Vignal, Emily Jane White...), Talitres a aussi le chic de remettre en selle des formations culte. A l’instar de Flotation Toy Warning ou The Apartments, Ralfe Band était passé sous nos radars et c’est le label bordelais qui nous le signale.
    Et il fait bien. Si les albums précédents du groupe d’Oly Ralfe datent (...)

  • The Veils – ...And Out of the Void Came Love

    The Veils est ancré à l’histoire de ce site puisqu’à peu de choses près ils avaient constitué un de nos premiers coups de cœur, en 2004. On avait évidemment suivi toute leur discographie, noté qu’ils étaient absents depuis un petit temps mais il faut être honnête, on avait un peu oublié l’album solo de Finn Andrews. En une heure et quinze morceaux, un des albums de l’année fait le tour du propriétaire et des (...)

  • Philip Selway – Strange Dance

    Parfois, il est très facile de cerner une personnalité par un seul de ses traits. Ainsi, on ne peut éviter de penser ‘c’est le batteur de Radiohead’ quand on pense à Philip Selway. En marge donc des albums d’un des groupes les plus passionnants qui soient, il sort dans une assourdissante discrétion des albums vraiment plaisants. On s’était déjà fait l’écho du délicat et attachant Familial et de l’EP qui (...)

  • Squid - Ô Monolith

    Le post-punk anglais avec morgue est un genre très particulier dans lequel les Londoniens de Squid s’étaient distingués. Il faut dire que ce substrat est utilisé dans tellement de contextes pour tellement de résultats, de Bloc Party à Black Country New Road en passant par Art Brut qu’on peut le décliner de bien des façons.
    Et Squid balaie à lui seul une belle partie du spectre, allant même tutoyer la (...)

  • Bärlin - State of Fear

    Cet imposant album d’un trio lillois nous semble familier sans que ce ne soit exactement identique à quoi que ce soit. Si on tente de retrouver son chemin, on est très vite tentés de s’y perdre pour mieux s’y fondre. Le chant très expressif dès Deer Flight, un peu comme si Patrick Wolf s’était mis au post-punk poisseux et éructait (aboyait même sur Revenge). On y secoue lentement la tête pendant que la (...)

  • Rodolphe Coster and Band – High With The People

    On va être tout à fait honnêtes, on n’avait jamais entendu parler du Bruxellois Rodolphe Coster malgré un parcours visiblement déjà fourni, avec un gros pied dans la musique de danse contemporaine. Mais ce n’est pas le plus important, on a copieusement apprécié cet album immédiatement familier.
    New York est ici un endroit d’enregistrement ici mais aussi un style, avec une forte dose de post-punk (...)

  • Unik Ubik – I’m Not Feng-shui

    Quand on avait entendu Maggie Débloque, on n’avait pas tout de suite succombé. Peut-être que l’idée de s’en prendre (justement) à une ministre démise depuis des lustres ne semble pas l’idée de l’année. Surtout parce que la musique à haute dose d’énergie et de complexité attend son moment. Il est arrivé plus tard, et il est arrivé, et l’album passe d’un coup d’un seul. Parce qu’une fois que l’envie est là, on (...)