Accueil > Critiques > 2017

Conor Oberst - Salutations

vendredi 7 avril 2017, par marc


Quelle est la part de la forme dans la réussite d’une chanson ? Vaste question souvent débattue et qui trouve une réponse partielle dans les nombreuses reprises qu’on entend. L’an passé, Conor Oberst nous avait livré son album le plus intime et poignant de sa déjà belle carrière. C’était minimaliste mais pas misérable et on vous avait déjà dit tout le bien qu’on en pensait. Il nous revient déjà avec des versions plus orchestrées et proches de ses autres albums récents, agrémentant les dix titres d’origine de sept inédits. Une copieuse dose donc dont l’intérêt semble a priori assez relatif.

La forme plus classique est tout-à-fait convaincante ceci dit, riche et ample. Mais la force des versions originales tenait aussi dans leur propension à mettre les paroles en évidence et certains sujets méritaient visiblement ce traitement minimaliste, comme You All Loved Him Once. Parler de solitude avec un grand groupe en support, c’est un peu contradictoire. De même, la charge émotionnelle de Next of Kin était assez forte et diminue ici. Les paroles restent souveraines, mais le ton alangui et le presque slow qui en résulte ne sont pas à la hauteur des frissons d’alors.

La transition entre le folk nu et le folk-rock a eu lieu il y a un demi-siècle, donc rien de bien neuf dans le principe. On retrouve cette veine sur Napalm qui ressemble tout de même assez à ce que faisait Bob Dylan à son pic de forme. Ce qui rend encore plus remarquable la performance du prix Nobel qui était arrivé à maintenir et même élever son niveau pendant cette transformation. C’est donc très bien fichu mais sans doute un peu trop passe-partout pour vraiment se distinguer. Ceci dit, certains morceaux ne perdent pas trop au change, notamment ceux qui ne reposaient pas trop sur l’émotion pure. Till St Dyphnia kicks Us Out devient une chanson à boire de premier ordre dans ses nouveaux atours. L’inédit Afterthought en fait par contre un peu trop dans le genre avec son chœur beuglé.

Notons quand même qu’une des phrases controversées de Counting Sheep a été modifiée. Alors qu’il parlait de la mort d’enfants qu’il n’identifiait pas, le très dur Hope it was long/Hope it was painful est remplacé par un plus consensuel Hope it was quick/hope it was peaceful. Il n’y a donc pas que sur les arrangements qu’il arrondit les angles.

Une fois sorti un album magnifique, pourquoi le revisiter si vite ? Comme si Sufjan Stevens donnait une relecture plus ample de Carrie & Lowell. Bon, dit comme ça, ça fait envie en fait. Si cet album est bon à l’aune des dernières productions de Conor Oberst, il semble donc un peu inutile puisqu’il ne reproduit pas l’émotion de son prédécesseur malgré la présence de tous ses titres. Ceci dit, si vous ne connaissez pas encore Ruminations, voilà un rappel tout-à-fait indispensable.

    Article Ecrit par marc

Répondre à cet article

  • Raoul Vignal – Shadow Bands

    On apprécie toujours le retour d’un ami de longue date, surtout s’il reste empreint d’une grande beauté. Comme on l’avait signalé à la sortie du précédent Years in Marble, il s’éloigne d’influences comme Nick Drake (avec un picking virtuose) pour favoriser un mid-tempo qui coule de source comme South, Brother qui relate ses retrouvailles avec son frère qui vit en Espagne. La finesse d’écriture (…)

  • The Golden Son - I am Who am I

    On l’a dit, on connait remarquablement peu d’artistes pour les plus de 2000 critiques écrites ici. Pourtant quelques camaraderies virtuelles ont pu se développer. A force de commenter les albums de The Imaginary Suitcase, j’ai même eu droit à une écoute préliminaire de cet album. Ceci est juste une petite mise au point au cas où vous viendrez fort légitimement douter de mon objectivité en la (…)

  • Bright Eyes - Five Dices All Threes

    Conor Oberst a aquis très tôt un statut culte, le genre dont il est compliqué de se dépêtrer. Lui qui se surprend ici à avoir vécu jusque 45 ans (il y est presque...) nous gratifie avec ses compagnons de route Mike Mogis et Nate Walcott d’un album qui suinte l’envie.
    Cette envie se retrouve notamment dans la mélodie très dylanienne d’El Capitan. On peut retrouver quelques préoccupations du (…)

  • Fink – Beauty In Your Wake

    Un écueil fréquent auquel se frottent les artistes à forte personnalité est la répétition. Quand on a un son bien défini, un univers particulier, les variations sont parfois trop subtiles pour être remarquées ou remarquables. Si vous avez écouté deux albums de Stereolab vous savez de quoi on veut parler. Si on identifie un morceau de Fink assez vite, il y a malgré tout suffisamment d’amplitude (…)

  • Xiu Xiu – 13’’ Frank Beltrame Italian Stiletto with Bison Horn Grips

    Jamie Stewart est un artiste qui fait de la musique excitante. De combien pouvez-vous dire ça ? On ne veut pas dire qu’il a toujours tout réussi, tout le temps, mais on prend toujours de ses nouvelles avec une curiosité certaine. On sait qu’on va être surpris, un peu secoués et peut-être même un peu soufflés. Ou même beaucoup soufflés dans le cas qui nous occupe, à savoir le successeur du (…)

  • Cloud Cult - Alchemy Creek

    On a fatalement un panthéon de groupes indés attachants. Et tout en haut figure cette formation du Minnesota. On pourrait aussi citer The Rural Alberta Advantage ou Port O’Brien au sein de cet aéropage héritier d’une époque où l’engagement total était un style en soi. Le résultat est un charme fou lié à cette intensité réelle.
    Hors mode donc mais leur inclination pro-climat, leur volonté de (…)

  • Loma - How Will I Live Without a Body

    Prendre son temps pour écrire une critique de Loma, ça tombe sous le sens tant la richesse ce troisième album nécessite un certain approfondissement. Même si on fréquente musicalement Jonathan Meiburg depuis 20 ans, découvrir un album de Shearwater ou Loma n’est jamais anodin et il faut un temps pour que toutes ses subtilités se dévoilent. Il en a été de même ici. Petit rappel des faits, Loma (…)

  • John Grant – The Art of the Lie

    Ça fait belle lurette que le style de John Grant a évolué, et on ne cherche plus depuis longtemps des traces de son fantastique Queen of Denmark. Mais on sait aussi que ce qu’on a aimé à l’époque se trouve toujours sous une forme différente. On le découvre au détour du son profond de Marbles par exemple.
    Triturer sa voix est un choix étrange quand on sait à quel point c’est un de ses atouts (…)