lundi 28 août 2017, par
Le magnifique roman d’Eliott Perlman Seven Types of Ambiguity prend pour fil rouge la théorie de William Empson qui postule que la poésie nait de l’ambiguïté, dont il distingue sept types. A l’aune de cette théorie, Lana Del Rey se présente comme une figure éminemment poétique tant elle semble un paradoxe ambulant. Physique et look vintage rendu étrange par le bistouri, très affectée et un peu artificielle sur scène mais au spleen crédible sur album, pouvant varier les collaborations sans avoir l’impression de se dénaturer elle-même, populaire mais ayant une discographie qui la voit réduire son spectre à un spleen assez poussé, elle prête flanc à des interprétations opposées.
Par exemple, j’avoue ne pas trop savoir où me situer par rapport à la présence ou non de sarcasme. Mais il y a une certaine ironie qu’on détecte sur We’re just beautiful people with beautiful problems (avec Stevie Nicks de Fleetwood Mac dont la voix plus mature s’accorde bien à celle de Lana Del Rey). Si on va voir qu’elle tente un certain éclectisme, ses marottes restent les mêmes, avec un décalage sans doute volontaire. Ainsi, quand elle lance un ‘God bless America’, on entend des coups de feu.
C’est étrange comme on s’est habitués puis mis à apprécier Lana Del Rey. Son premier album lancé par des singles vraiment marquants n’était en moyenne pas bien passionnant. Elle a su pourtant négocier avec brio la suite, en sortant des albums pleins à ras bord d’un spleen peut-être trop forcé pour être honnête mais qui a su nous captiver. Elle s’est donc éloignée de son public très large pour se contenter d’une niche musicale. Mais une niche musicale de taille mondiale, ce qui reste tout de même confortable et l’a maintenue dans les radars. Ce quatrième album (si on veut oublier le tout premier que personne n’a entendu) se situe à la fois dans la lignée des précédents tout en proposant un peu plus de variété.
Si on retrouve sur cet album ayant le même titre qu’un des plus connus d’Iggy Pop un certain éclectisme quelque peu négligé depuis le premier album et la même longueur hors normes (72 minutes, ça devient rare), le premier morceau se place d’emblée dans la lignée des deux précédents, histoire de ne pas assurer de rupture trop brutale. Vous aurez donc droit à de bien belles mélodies (Change, magnifique 13 Beaches) mais aussi des morceaux certes bien faits (Cherry, In My Feelings) mais qui n’arrivent pas toujours à se surpasser. C’est la conséquence d’un album bien copieux sans doute.
Pour élargir son public, rien de tel que quelques collaborations bien senties. Comme ça part un peu dans tous les sens, il est logique qu’on ne se pâme pas systématiquement. Donc outre Stevie Nicks déjà évoquée, on retrouvera Sean Lennon Ono sur Tomorrow Never Came qui est lui aussi à sa place. Vous devinerez que les passages rappés de Summer Bummer ou Groupie Love (par A$AP Rocky) n’ont pas notre préférence. Le duo le plus convaincant est sans doute aucun celui avec The Weeknd sur Lust For Life, notamment parce que la mélodie est là et le son bien épais qui apporte toute la lourdeur nécessaire rappelle le Bat For Lashes des grands jours (alors que pour les avoir vues sur scène à quelques heures d’intervalle, Natasha Kahn a un charisme scénique d’un tout autre ordre).
Pour la complétude et l’anecdote à la fois, on notera l’étrange ressemblance de mélodie entre Creep de Radiohead et Get Free et que les accents plus boudeurs de When the World Was at War We Kept Dancing ou Tomorrow Never Came la rapprochent de chanteuses comme Hope Sandoval.
L’équilibre nécessaire aux albums de Lana Del Rey est décidément bien fragile et compliqué à obtenir. On pensait qu’elle allait empiler régulièrement des albums dignes et reposant surtout sur son talent mélodique et l’impression dégagée qu’elle porte sur ses frêles épaules tout le poids du monde, elle réagit et s’entourant de personnalités diverses. Cette relative dispersion rend cet album plus varié, certes, mais aussi moins cohérent. Il n’en reste pas moins les quelques morceaux de bravoure qu’on était venus chercher. Le mystère Lana est donc relancé.
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