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Nedry - Condors

lundi 22 février 2010, par Laurent

Apesanteur matérialisée


Saluons d’emblée le flair de Mmarsupilami, qui avait chroniqué le présent opus en avant-première, suscitant un buzz intergalactique autour de sa sortie toute fraîche. Enfin, presque : il s’agirait manifestement d’une réédition, soutenue par l’obscur label Monotreme et orchestrée, pour tout dire, encore bien discrètement, les disquaires ne se bousculant pas pour le placer en tête de gondole. Résultat, on se refile la version physique sous le manteau sur les sites de vente en ligne – c’est ce qu’on appelle un secret bien gardé.

Pourtant, la recette n’a rien de très mystérieux : deux bruiteurs occidentaux s’acoquinant avec une vocaliste japonaise, on pense forcément à Blonde Redhead. Si ce n’est qu’ici, le bidouillage sonore emprunte une piste dubstep, dont on sait friands les fans de rock chercheur depuis l’adoubement de Burial. Cela dit, dès qu’Ayu Okakita pousse la chansonnette – en anglais – on se verrait plutôt replongé une bonne décennie en arrière, lorsque Björk se voulait "Homogenic" et qu’Emiliana Torrini prêtait ses cordes vocales à Gus Gus. Des références 100% scandinaves, parfaitement ; cette tendance se confirme tout au long de l’album, tant l’organe sauvage de la Japonaise – contrepoids essentiel à la musique bétonnée de Nedry – rappelle d’autres voix baladeuses des forêts du grand nord, Under Byen en tête.

Le pouvoir de fascination qu’Okakita serait capable d’exercer même a cappella, encore faut-il le décupler quand on l’associe à des instrumentations aussi percutantes que le beat malsain d’A42 ou l’apesanteur matérialisée sur Swan Ocean. Un titre comme Scattered, avec son tempo traître et ses décharges d’électricité statique, se suffit d’ailleurs très bien à lui-même. On ne sait d’où vient exactement leur nom, mais Nedry est une anagramme bien trop évidente de ‘nerdy’ pour ne pas songer au nombre d’heures que ces programmateurs un brin chtarbés ont dû passer devant leurs machines pour produire quelque chose d’aussi précis dans la syncope, d’aussi pointilleux dans le délire (Condors, la chanson, a dû être composée en état de transe). Le tout avec un savoir-faire mélodique qui laisse pantois.

Abandonnant régulièrement le format chanson au profit d’écarts de conduite salutaires (la magnifique et édifiante Apples & Pears), le groupe se construit définitivement un univers à part, à la fois lumineux et inquiétant. Très court (8 titres, une demi-heure), sans le moindre temps mort, ce premier album dévoile déjà l’étendue – qu’on espère partielle – d’un talent collectif virtuellement prêt à dominer la décennie à venir. Encore faudra-t-il que le secret soit trahi, et c’est bien tout le mal qu’on leur souhaite.


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3 Messages

  • Nedry - Condors 23 février 2010 11:52, par Benjamin F

    Mine de rien, sans l’article de Mmarsupilami, je ne sais pas quand est-ce que je l’aurai découvert... :)

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    • Nedry - Condors 23 février 2010 22:10, par Laurent

      Aberrant en effet qu’un objet sonore de cette envergure et porteur d’un tel potentiel passe aussi inaperçu. Bon, on commence à pouvoir se le procurer plus facilement mais il a vraiment été difficile à dégoter pendant un bon moment. Question de temps, peut-être, avant que le monde succombe. Thom Yorke va probablement annoncer bientôt que c’est son nouveau groupe préféré, et la machine sera lancée ! ;)

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      • Nedry - Condors 23 février 2010 23:18, par Gaston, Mselle Jeanne et Jules de Chez Smith en Face

        On avait fait confiance à Marsupilami !
        C’est qui ça, Thom Yorke ?

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