vendredi 29 avril 2011, par
Chewing-gums au poivre
À ceux qui nous suivent régulièrement comme leur feuilleton préféré, inutile de rappeler tout le bien que l’on pense de la chanson-rock québécoise, plus apte que sa grande sœur européenne à se jouer des formes avec un sens réjouissant du maniement ludique. Pas de maniérisme dans le chant, pas de sacralisation du texte, pas d’armada orchestrale pour souligner à gros traits la gravité de l’instant. Juste une envie de se faire plaisir en regardant ses pieds quitter le sol sans chercher pour autant l’envolée emphatique ; juste un goût de la légèreté qui ne passe jamais pour du désintérêt. Une saine forme de modestie, donc, qu’un certain conservatisme français n’autorise pas toujours outre-Quiévrain.
Le cas de Malajube est à ce titre d’autant plus particulier que le groupe montréalais a toujours assaisonné son rock de granulés pop, tout en le délayant dans un fond vaguement conceptuel sans être prise de tête. On se souvient que le deuxième album du combo, l’inégalable “Trompe l’Œil” qui l’avait révélé au public francophone, était composé de chansons faisant presque exclusivement référence à des infections ou des pathologies. Les obsessions pour le milieu médical n’ont pas encore disparu (Radiologie, Ibuprofène), mais il semble difficile pour le coup d’associer “La Caverne” à un thème générique, tant les paroles brillent par leur pouvoir de suggestion plutôt que par leur puissance explicite. Une espèce d’impressionnisme fluorescent.
À cette façon de battre en retraite s’ajoute aussi le mixage très particulier des titres, auquel on est devenu plus que familier à l’heure du quatrième album : la voix fondue dans le décor, comme pour assurer sa déférence aux instrumentations, Malajube invente une sorte de shoegazing limpide, un psychédélisme arc-en-ciel qui n’a pas besoin de noyer les enjeux dans une bouillie sonore pour masquer ses failles mélodiques. Tout ici fait justice à la noblesse pop, avec un sens de la concision mieux maîtrisé que sur “Le Compte Complet”, premier album bancal dont ils ont retenu l’immédiateté (Le Blizzard) et les décharges électriques (Sangsues) tout en les conjuguant à une sophistication acquise sur la longueur (Le Stridor, La Caverne).
Malgré tout, la brièveté du format peut aussi se vivre comme frustrante, par exemple quand la jolie Mon Œil s’arrête net et manque d’offrir une digne succession à Etienne d’Août, encore et toujours le sommet du groupe après cinq ans. On se console cependant sans peine avec les efficaces Synesthésie ou Cro-Magnon, capsules de pop douce-amère comme Malajube sait à nouveau les multiplier, après un “Labyrinthes” qui avait fait craindre qu’ils n’aient perdu la main dans ce registre du tube improbable. “La Caverne” regorge au contraire de ces petits chewing-gums au poivre qui les consacrent en groupe addictif à défaut d’être essentiel. On s’en délectera donc sans modération d’ici la prochaine livraison en provenance du Grand Nord. Vivement !
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