Accueil > Critiques > 2007

Panda Bear : Person Pitch

mardi 24 avril 2007, par marc

Oui, de nouvelles formes sont possibles


Une bonne critique doit à la fois faire état des moyens et du résultat. S’acharner sur les moyens c’est un peu rechercher la composition de la musique et être aussi excitant que de la pharmacie ou de la cuisine. Ne penser qu’au résultat, c’est donner l’impression de livrer au lecteur son journal intime. Entre ces deux extrêmes, il faut trouver le ton juste. C’est parfois facile, parfois moins comme pour ce Panda Bear. Pour un peu noyer le poisson, nous allons donc un peu traiter des deux aspects.

Pour replacer les choses dans leur contexte, Panda Bear est le projet solo de Noah Lennox, qui joue de la batterie dans Animal Collective, groupe défricheur dans ce qu’on a convenu d’appeler le psyché-folk, étiquette large et imprécise qui colle à l’air du temps. A peu près tout ce qui se trouve sur ce troisième album est sorti en single ces deux dernières années. Pour ceux comme moi qui ont raté les épisodes précédents, c’est une occasion de se mettre à jour. Et j’encourage tout esprit curieux à en faire autant.

A la base, il y a des ingrédients classiques comme des chœurs, de la guitare, des cuivres, de la batterie. Mais le but est de rendre le tout le moins distinct possible. Comment tout cela ne devient-il pas un gloubiboulga indigeste ? Aucune idée, je me contente juste de constater. Pas envie de regarder par-dessus l’épaule du cuisinier si le plat me plaît. On se contentera de dire qu’il y a des boucles et des effets sur tout ce qui bouge et qu’on assiste à de la sculpture sur son. Mais on n’a jamais l’impression d’écouter de la musique électronique (ce qui ne serait pas grave en soi de toute façon).

Good Girl/Carrots (un des titres de morceaux les plus énigmatiques qui soient), avec ses nombreux changements, ses différentes ambiances, résume la plupart des points de la démarche. On entend successivement des percussions qui se noient, des voix découpées, du psychédélisme pur, encore plus tordu que le reste, du dub organique. C’est une impression de matière naturelle qui traverse tout l’album. Take Pills semble être enregistré dans une forêt, Bros dans une piscine.

Autre caractéristique marquante, le traitement des voix. Comfy In Nautica apparait une sorte de psalmodie. Les chœurs ajoutés, récurrents, entêtants, sont vraiment très réussis. D’une manière générale, les lignes mélodiques assez limpides. On obtient un effet de ritournelle de répétition entêtante comme dans Take Pills (ça doit aider en effet) et qui ne mène pas à l’ennui. Cette musique savante (entendez composée par une personne seule) donne l’illusion galvanisante d’un grand nombre d’intervenants comme chez I’m From Barcelona, ou alors une sorte de world-music blanche. Noah Lennox vit au Portugal. Ce qui est un détail sans doute mais pourrait en partie justifier cet aspect solaire et euphorisant. Car si on est parfois dans de la musique bien barrée, elle n’est jamais sombre ou inquiétante. Rarement, cependant, le résultat est trop abstrait pour accrocher (Search For Delicious).

La pochette montre des enfants dans une piscine, avec des animaux. C’est une certaine image qu’on pourrait avoir de l’album : un collage intrigant, frais et composite de choses réelles et d’images factices, cohérentes prises dans leur ensemble. Il me faut toujours un peu de temps pour ‘rentrer’ dans un album de Grizzly Bear ou Animal Collective, passionnants défricheurs d’un folk qui n’en est plus un dès lors qu’il expérimente. Par contre, j’ai été tout de suite à l’aise dans ce Person Pitch.

Cet ovni musical fonctionne parce qu’il combine le meilleur de plusieurs mondes. Une certaine tradition pop, un savoir-faire technologique et un sens de la progression d’un morceau. Le tout est en tous cas très frais et inattendu. Venue un peu de nulle part, cette musique est réussie parce qu’elle est euphorisante. Quand une technique, quelle qu’elle soit, est mise à profit pour créer des choses nouvelles et enthousiasmantes, on se réjouit et c’est un bon démenti à tous ceux qui pensent qu’une forme de musique nouvelle est impossible.

Pas encore convaincus ? Allez vous faire une petite idée sur myspace : http://www.myspace.com/rippityrippity

    Article Ecrit par marc

Répondre à cet article

  • Bright Eyes - Five Dices All Threes

    Conor Oberst a aquis très tôt un statut culte, le genre dont il est compliqué de se dépêtrer. Lui qui se surprend ici à avoir vécu jusque 45 ans (il y est presque...) nous gratifie avec ses compagnons de route Mike Mogis et Nate Walcott d’un album qui suinte l’envie.
    Cette envie se retrouve notamment dans la mélodie très dylanienne d’El Capitan. On peut retrouver quelques préoccupations du (…)

  • Fink – Beauty In Your Wake

    Un écueil fréquent auquel se frottent les artistes à forte personnalité est la répétition. Quand on a un son bien défini, un univers particulier, les variations sont parfois trop subtiles pour être remarquées ou remarquables. Si vous avez écouté deux albums de Stereolab vous savez de quoi on veut parler. Si on identifie un morceau de Fink assez vite, il y a malgré tout suffisamment d’amplitude (…)

  • My Name Is Nobody - Merci Cheval

    La veille musicale est un engagement à temps plein. Une fois qu’on a aimé un.e artiste, il semble logique de suivre sa carrière. Pourtant il y a trop souvent des discontinuités. Mais il y a aussi des possibilités de se rattraper. La présence de Vincent Dupas au sein de Binidu dont l’intrigant album nous avait enchantés en était une. On apprend donc qu’il y avait eu un album en mars et (…)

  • The Decemberists – As It Ever Was So It Will Be Again

    Il y a quelque chose de frappant à voir des formations planter de très bons albums des décennies après leur pic de popularité. Six ans après I’ll Be Your Girl, celui-ci n’élude aucune des composantes de The Decemberists alors que par le passé ils semblaient privilégier une de leurs inclinations par album.
    On commence par un côté pop immédiat au très haut contenu mélodique. On a ça sur le (…)