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Emmmy the Great - Virtue

jeudi 30 juin 2011, par Laurent

Ascension


Petite Emmy veut devenir grande. Malgré les malentendus sur sa personne, ses airs trop mal cachés de chansonnière candide et ses mélodies proprettes. Le parcours d’Emma-Lee Moss s’inscrit dès le départ dans le sillage de sa compatriote Laura Marling, pourtant de six ans sa cadette, pour cette façon qu’elles partagent de chanter avec une amertume blasée leur court passé de gamines balafrées, tout en mettant leur jeunesse au service d’un folk pétillant et coloré. Pop, quoi. Tout ça sentait alors bon la constellation, la bande à suivre. À nous les petites Anglaises ! Sauf que...

Sauf que, on l’a su l’an dernier, Marling a pris le parti de pousser très vite, se réinventant en Emmylou des cliffs cependant qu’Emmy-louloute, à défaut de regarder vers l’Amérique, a préféré regarder autour d’elle – nombril compris – et raconter des histoires en forme de leçons de vie, adressées à des copines qui s’appellent Sylvia, Iris ou Cassandra. Étudier la psychologie de ses pairs est souvent une manière indirecte de chercher à se comprendre soi-même, et la plume aigre-douce de Moss a bien plus trempé dans l’encre de l’intime qu’elle ne voudrait le (faire) croire.

Emmy peut-elle devenir grande ? La question est implicitement posée tout au long de “Virtue”, album traversé de part en part par le thème du peut-être, du lien ténu entre espoir chéri, choix de vie et futur prédictible ; c’est le cri étouffé du vouloir-être et la complainte des regrets, la tension permanente de l’en-soi et du pour-soi. Sur le premier titre du disque, la Londonienne chante « I think I see the future in my sleep », confondant fantasmes et prémonitions ; sur le dernier morceau, elle constate que « I’m praying but I don’t know why », consciente qu’il n’y a qu’un pas du probable à l’impossible.

Dieu sait cependant qu’il y a un immense potentiel à explorer dans les chansons de ce bout de femme eurasienne : une facilité de composition confondante, pour des bluettes qui se fredonnent presque instantanément ; mais surtout, la griffe d’une auteure douée qui met sa poésie au centre des débats. À cela s’ajoutent quelques fioritures de production qui habillent indéniablement ses pièces de brillance : les chœurs majestueux de Paper Forest ou A Woman, a Woman, a Century of Sleep ; le leitmotiv spectral – au synthé – sur Creation ; l’harmonium qui fait vibrer la magnifique North.

Un peu partout sur “Virtue”, Emma-Lee évoque son souhait d’un ailleurs, aspire à d’autres sphères en réclamant modestement un petit coin de paradis. En réalité, la grande Emmy se sent toute petite, et elle se désole de sa finitude. Elle pleure de n’être pas prête (Exit Night), de faire partie d’une humanité qui ne mènera à rien (Dinosaur Sex), d’espérer en vain toucher le feu sacré (Trellick Tower). Au fond d’elle-même, l’âpre constat existentialiste la conduit vers une forme de pessimisme digne : « If who you are eventually is all that forms your destiny – if character equates to fate – then I’m not great, but it’s not in me to complain. »

Cette leçon d’humilité couronne définitivement le talent d’Emma-Lee Moss, jeune femme peu sûre de son fait, à la recherche du mot juste pour dire son sentiment d’impermanence et en faire davantage qu’une sensation : un sens. En quête d’une foi digne de ce nom, puisqu’elle a si peu confiance en sa propre personne, peut-être trouvera-t-elle en autrui les raisons de s’élever. Même si l’on ne peut encore raisonnablement l’appeler ‘Emmy the Greatest’, on a bien le droit d’espérer le jour de l’Ascension. « And I’ll keep praying ‘til the language dies, praying cause you’re so high. Can I spend my life trying to climb you ? »


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