samedi 27 mars 2010, par
Si l’on, si l’on...
J’ai pris l’habitude – d‘aucuns parleront de tic – d’introduire mes critiques par une mise en contexte que j’estime la plupart du temps fort utile. Dans le cas de Gaëtan Roussel cependant, difficile de vous apprendre grand-chose étant donné que le chanteur parisien a entamé sa carrière sur un coup d’éclat. Ainsi, il y a une bonne dizaine d’années, le premier album de Louise Attaque faisait danser les intendances scoutes de la région Woluwe et du Brabant wallon. Ayant toujours été imperméable à tout ce qui suscite l’engouement bourgeois bohême – non par snobisme mais par une curieuse constance dans la divergence de goût – j’observais alors le spectacle de loin, non sans une certaine perplexité.
Dès le second album pourtant, les indices se sont multipliés : ces gars avaient une vraie plume et se montraient capables d’écrire des chansons rouées. Quant au timbre si crispant de Roussel, au moins se détachait-il de la fausse gravité de cabaret à laquelle aspirent encore ces trop nombreux groupes qu’on va applaudir d’une main, en poncho, tout en signant de l’autre une pétition contre les O.G.M. La suite a confirmé la tendance : l’expérience Tarmac, un troisième Louise Attaque racé et intemporel, puis les sollicitations couronnées de succès. Après avoir offert un splendide testament à Bashung, des chansons parfaitement ciselées à Vanessa Paradis et Rachid Taha, voilà donc Gaëtan Roussel face à de nouvelles envies. Lui qu’on imaginait imposer, à ses différentes projets, une patte démiurgique, dément aujourd’hui cette idée reçue et vogue en solitaire pour assouvir ses appétits frustrés. Ses premières amours, découvre-t-on dès lors sur "Ginger", auraient davantage à voir avec la pop anglo-saxonne. Tiens donc…
Les récentes collaborations de Roussel pouvaient nous mettre la puce à l’oreille. Il suffit d’ailleurs de réécouter Bonjour, génial duo avec Taha ; derrière une ligne mélodique tellement simpliste qu’elle fait d‘abord pitié, se cache en réalité un tube imparable et indécrottable. Help Myself, le premier single de "Ginger", fait exactement le même effet ; après qu’on s’est demandé ce que le chanteur va faire dans cette galère, plus moyen de se débarrasser de son refrain bubblegum. C’est frais, sucré, ça colle sans tacher, et les paroles reprennent les motifs qui rendent leur auteur immédiatement reconnaissable, et qu’il égrène ailleurs sur le disque : alternance couplets en français / chorus en anglais, poésie économe et évocation obsessive des possibles – voir ces « si l’on... » que l’on entend au détour de presque chaque chanson.
Mais ce qui marque surtout, ce ne sont pas ces textes impressionnistes et interchangeables ; on est après tout dans un disque pop, bien plus porté sur l’allusion que sur l’exégèse. Non, ce qui fait qu’on revient et qu’on reviendra encore sur "Ginger", c’est la virtuosité ahurissante de sa réalisation. Largement assisté par Jo Dahan (Mano Negra, Wampas, qui co-signe ici toutes les musiques) et d’autres gens bien, Gaëtan Roussel produit une musique millimétrée, visant juste à tous les coups en ajoutant le gimmick qui va faire la différence. C’est terriblement séduisant mais jamais aguicheur, accrocheur sans être putassier. Un orgue entêtant et un harmonica déglingué suffisent à faire le charme de Mon Nom, et Tokyo parvient à suggérer la frénétique capitale japonaise sans tomber dans le piège de la carte postale.
Roussel excelle aussi, une fois de plus, dans les ballades cabossées (Des Questions Me Reviennent, Dis-Moi Encore Que Tu M’aimes) voire désuètes (Les Belles Choses, ou comment plier un chef-d’œuvre avec deux guitares et un minimum de programmations). Quant aux essais de vrai rock, ils attirent encore le satisfecit. Le tortueux Clap Hands et ses césures maîtrisées ouvrent l’album sur une jolie claque, et Inside / Outside est une jolie harangue contre l’inertie ; mais le pompon revient sans doute à Trouble, vénéneuse comptine avec l’idole de toujours. Gordon Gano, leader des Violent Femmes, tient le crachoir et rappelle d’où vient le nom de Louise Attaque : tout en férocité sensible, en tension toute féminine, il répand un climat délétère avant de se faire passer à tabac par un trio de cuivres.
Inutile de préciser encore qu’on tient là une petite merveille. Si la langue de Shakespeare n’y avait élu domicile en de si fréquentes occasions, on dirait bien qu’il s’agit du meilleur disque de chanson française que 2010 nous ait donné d’entendre durant ce premier trimestre. En lieu et place, considérons simplement ce "Ginger" comme la confirmation d’un talent hexagonal de premier ordre, à même d’assurer l’héritage de prestigieux ancêtres comme de parler le langage de ses contemporains, toutes nations confondues. Aussi, qu’elles soient ou non de rousseur, les taches que Gaëtan Roussel aura laissées sur le silence pourraient bien se révéler indélébiles.
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