Accueil > Critiques > 2014

Jean-Louis Murat - Babel

lundi 1er décembre 2014, par marc


On pourra sans doute nous reprocher plein de choses, mais pas l’infidélité à certains artistes. Cette douzième critique d’album de Jean-Louis Murat le prouve. On a toujours aimé la constance de l’Auvergnat, son indépendance qui parfois va à contre-courant des modes dont il peut légitimement se moquer puisqu’il leur survit toujours.

Son évolution se fait par touches, au gré de ses envies et de ses rencontres. De ce point-de-vue, il n’a jamais semblé aussi proche d’un Neil Young. Et s’il manipule la langue avec un talent qui lui est propre, on discerne dans la démarche quelques composantes typiquement anglo-saxonnes. La dichotomie chanteur des villes/chanteur des champs est une situation purement française. On ne s’étonnera jamais qu’un groupe américain parle des Appalaches, du Mississippi ou du Bayou. Pourquoi dès lors s’empêcher de faire référence à la géographie d’Auvergne ? Ce n’est pas un repli, c’est une contextualisation géographique. Laquelle est assez poussée sur cet album puisqu’on consulte les titres comme un Atlas tant les noms de lieu y sont présents (Sancy, Chamablanc, Col de Diane, Crest).

Pour le reste, vous l’avez suffisamment entendu, cet album est né de la rencontre de Murat avec le Delano Orchestra, formation folk de Clermont-Ferrand qui apporte de la solidité à ce copieux album. C’est d’ailleurs le premier double album depuis bien longtemps (Lilith pour être précis) et le son est étoffé, rond, rompant avec la sécheresse de la dernière tournée. Le résultat ajoute vraiment une dynamique nouvelle, notamment par ces cuivres qui relèvent les morceaux en groove (Blues Du Cygne) ou en langueur (Frelons D’Asie).

Il faut du temps, beaucoup de temps pour faire le tour de cet album parce qu’il est fort long. C’est un album pour ceux qui aiment prendre leur temps puisque les nombreux morceaux prennent souvent leurs aises. Pour le meilleur parce qu’ils finissent par percer (Neige et Pluie au Sancy) ou que leur structure répétitive met bien en évidence la densité du refrain (Dans La Direction Du Crest). Mais cette répétition peut se révéler moins passionnante (Le Jour Se Lève Sur Chamablanc, Col de Diane, Mujade Ribe - non, ce n’est pas mon correcteur d’orthographe qui s’est mis au yougoslave )alors qu’il a déjà pu transcender des marathons (Nu Dans La Crevasse par exemple). Sa poésie peut aussi prendre un tour plus opaque tant il est difficile parfois d’en distinguer les mots (Chacun Vendrait Des Grives).

Murat garde en tous cas un grand sens de la mélodie (J’ai Fréquenté La Beauté, Vallée des Merveilles) et on distingue comme souvent des échos à des morceaux d’albums précédents. Tout M’Attire me faisant penser à Elle Avait Le Béguin Pour Moi. Il garde aussi sa fantaisie puisque certains morceaux peuvent passer pour du portawak (La Chèvre Alpestre). Mais musicalement, ce n’est jamais la grosse rigolade ou la négligence sous prétexte que le propos est plus léger. Ce qui permet une agréable et amusante roue libre qui chante les louanges du camping à la ferme. Ne craignez donc pas pour vos petits nerfs un successeur à Baby Carni Bird.

Les perceptions changent radicalement selon les fans et comme ceux de Morrissey parlent à chaque fois de ‘meilleur album depuis Vauxhall and I’, on va nous refaire tous les ans le coup du ‘meilleur depuis Mustango’. Comme au final je n’ai pas été trop client des deux derniers, celui-ci me semble marquer un retour en forme. Mais je savais qu’avec lui il suffisait d’attendre un peu, sachant que le léger changement de cap arrivera à un moment où l’autre. Une fois apprivoisé, cet album laisse l’étrange impression qu’il aurait pu faire dix titres de moins, dix titres de plus ou avoir un tout autre séquencement. Ce n’est sans doute pas un tournant dans une carrière qui n’en compte que peu, mais c’est un retour à une forme plus solide qui fait plaisir.

    Article Ecrit par marc

Répondre à cet article

2 Messages

  • Jean-Louis Murat - Babel 6 décembre 2014 09:50, par Florence

    Bel article...ma contribution : vous dites que Tout m’attire vous rappelle Elle avait le béguin pour moi...je trouve que c’est la petite soeur de Dieu n’a pas trouvé mieux (au niveau des paroles et aussi de la mélodie) êtes vous d’accord ?

    repondre message

    • Jean-Louis Murat - Babel 8 décembre 2014 18:26, par Marc

      Bonjour et bienvenue,

      J’avoue que je n’avais pas osé la comparaison avec des morceaux plus anciens. Sans doute que le son différent m’a empêché de faire le même rapprochement tout à fait pertinent !

      repondre message

  • Albin de la Simone - mes battements/Toi Là-Bas

    Normalement, on se concentre exclusivement sur l’aspect musical des choses. Même les musiques de film, série ou danse sont vues pas le simple prisme auditif. On va faire une exception ici parce qu’on l’a lu, Mes Battements d’Albin de la Simone. Et on a bien fait tant c’est un bonheur de sincérité et d’humour. Ce sont des anecdotes, un peu, des histoires courtes, des instantanés écrits et (…)

  • The Imaginary Suitcase – A Chaotic Routine (EP)

    Oui, les choses changent, même pour les compagnons musicaux de longue date. Et même après une dizaine d’oeuvres relatées ici, on constate ce changement dès la pochette. On passera sur le changement de police de caractère pour se concentrer sur les visages, présents pour la première fois. Et puis constater que Laurent Leemans n’est plus seul à bord, même si les autres noms ne sont pas (…)

  • iAROSS – Ce Que Nous Sommes

    Même si un peu de documentation est souvent fournie, c’est souvent au moment de boucler un article qu’on vérifie des faits, qu’on collecte des informations. Bref, alors que je m’apprêtais à dire que la voix du chanteur de iAROSS me faisait furieusement penser à celle de Colin Vincent entendu chez Volin et Muet, il se fait que c’est lui aussi qu’il a été guitariste de cette formation. Mais (…)

  • Sophia Djebel Rose - Sécheresse

    Rien n’est plus plaisant que de constater l’évolution des artistes. On avait déjà rencontré l’univers particulier de Sophie Djebel Rose, apprivoisé son ton particulier, on apprécie d’autant plus la façon dont elle élargit elle-même son univers. Moins folk, plus franchement gothique, ce second album la rapproche d’artistes comme Anna von Hausswolff dont elle ne partage pourtant pas la rage (…)