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En vacances, j’ai écouté... (3) du rock indé

dimanche 25 septembre 2011, par Laurent


Ben oui, les vacances sont les vacances : ça donne beaucoup de temps pour piquer un plongeon dans la musique, mais pas trop l’envie d’en parler. Du coup, autant revenir sur quelques disques écoutés à l’ombre des cocotiers et dont, qui sait, vous me direz des nouvelles... Poursuivons dès lors nos séances de rattrapage avec dix disques qui s’inscrivent dans le genre musical le moins passionnant de ce début de décennie mais avec lequel, une fois de plus, on trouve ici plus d’une bonne raison de se réconcilier.


Brown Recluse – Evening Tapestry

Fervent pratiquant d’une chamber pop qui doit autant à Belle & Sebastian ou The Radio Dept qu’au tropicalisme brésilien dans son versant le plus psychédélique, ce sextette de Philadelphie a fort à faire pour convaincre sur la longueur d’un album, d’autant qu’il a livré en parallèle un joli coup d’éclat avec un mini-LP gratuit. On adore Brown Recluse en pastilles, pour ses courts instrumentaux beaux comme du Eels (Beautiful Light) ou ses petits tubes rafraîchissants façon Zombies (Impressions of a City Morning), quand ils ne rappellent pas directement les Morning Benders (March to Your Tomb). Sous cette pluie battante de références, on aura compris que le son de Brown Recluse n’est pas foncièrement inédit, mais l’onctuosité de leur propos en fait une découverte pleine de promesses.


Cults – Cults

Passés entre les mailles d’une hype comme toujours surfaite et dont ils n’avaient probablement rien à faire, Madeline Follin et Brian Oblivion sont pourtant bien partis, qui sait, pour devenir cultes. En tout cas, leur garage rock passéiste à fort coefficient retro pop – genre bien connu des amateurs des Dum Dum Girls et maints autres combos nettement moins intéressants – rehausse la moyenne. S’ouvrant sur l’excellent Abducted, ce premier album enchaîne par la suite dix titres qui se révèlent tous de facture honorable, avec çà et là quelques pépites telles que les charmantes Go Outside et Oh My God, ou encore la très habitée You Know What I Mean. Rien de miraculeux, mais quand les derniers vestiges du grotesque revival sixties auront disparu, ce disque fera partie de ceux qu’on écoutera encore avec plaisir en 2020.


Dark Dark Dark – Wild Go

Derrière cette superbe pochette se cache un album pas forcément sombre sombre sombre, mais d’une remarquable profondeur de champ. Tant au niveau de la composition (pour la densité) que de l’interprétation (pour l’intensité), les chansons ont la toute grande classe, servies par des arrangements élégants et principalement acoustiques (piano, accordéon, banjo, violoncelle, contrebasse,...). Si l’on ajoute à ces qualités la voix très impliquée de Nona Marie Invie, soutenue par des chœurs prenants et des motifs mélodiques tourbillonnants (la valse Something for Myself, la fantomatique Daydreaming ou encore Celebrate, plus Beirut que nature), on comprend que le sextette de Minneapolis s’annonce, avec ce deuxième album magistral, comme une potentielle valeur sûre.


Fool’s Gold – Leave No Trace

À ne vraiment pas confondre avec la sunshine pop escarpée de Vampire Weekend, ce collectif californien intègre des éléments afro dans son rock à la manière dont Devotchka délaie le sien dans la tradition slave. Soit une musique qui vise la profondeur et une relative gravité tout en dansant sur des guitares sautillantes et, à l’occasion, quelques cuivres ensoleillés (Bark and Bite). Après un premier essai enthousiasmant, Fool’s Gold tente ici de moderniser son propos avec des synthés souvent superflus, se fourvoyant sur les mêmes pistes que Bell X1 (Street Clothes). La plage titulaire ressemble à s’y méprendre à The Cure dans sa période de maturité joyeuse, mais on préfère définitivement le groupe en version coupé-décalé (Mammal). Toujours pertinent, mais possiblement le début de la fin.


Gardens & Villa – Gardens & Villa

Dans son genre, ce premier album sorti chez les flaireurs futés de Secretly Canadian est une très bonne surprise. Le genre en question ? Un mélange de rock synthétique crépusculaire et de dream-pop floutée, le tout dominé par l’organe aigu de Chris Lynch, régulièrement trituré pour coller au son caoutchouteux du groupe. Simples et efficaces, les mélodies ne pourront que séduire les oreilles habituées aux ritournelles de Clap Your Hands Say Yeah et autres Oh No Oh My. Ça swingue en mode gentiment psychédélique (Spacetime), ça joue sur des terrains pop placides à la manière de Discovery (Orange Blossom) et, de façon moins heureuse, ça traîne parfois la patte (Carrizo Plain, Chemtrails). Au plus fort de son onirisme ténébreux (Black Hills), Gardens & Villa sait en tout cas se révéler ravissant.


Low – C’Mon

Bien sûr, tout n’est pas génial sur le neuvième album de Low. Il n’empêche que ce disque a sans doute été sous-estimé, peut-être pour sa limpidité inhabituelle, l’absence de mystère et le manque de noirceur sanguine qui président à ces dix chansons. Certaines sont pourtant parmi les plus belles qu’a enregistrées le trio du Minnesota. Especially Me et Try to Sleep sont de superbes ballades lancinantes qui défeuillent la fibre sensible du groupe, cependant que $20 rappelle que sans eux, Venus n’aurait jamais été Venus. Certes, l’un ou l’autre titres se révèlent forcément moins essentiels voire auto-parodiques (Majesty/Magic), mais les huit minutes d’intensité qui électrisent Nothing But Heart valent à elles seules le détour. Et à l’écoute de You See Everything, plus de doute : Low continue de voler haut.


The Middle East – I Want That You Are Always Happy

Il m’aura fallu tout l’été pour me forger une opinion sur ce... fort bon album. Bien sûr, les Australiens de Middle East, après un mini-LP déjà copieux, restent d’incorrigibles bavards – 14 titres, plus d’une heure – et le ton est régulièrement contemplatif. Dans l’attente d’improbables explosions, on se laisse porter par une musique splendide mais où les aspérités sont rares. Au fil des écoutes, on intègre cependant le relief des compositions, relevées par quelques refrains musicaux irrésistibles (Months, As I Go to See Janey) et de bienvenues accélérations de tempo (Jesus Came to My Birthday Party, Hunger Song). Peu porté sur la concision, le groupe ose en fin de parcours le morceau de huit minutes sans variation rythmique (Deep Water). Peut-être celui de trop. À l’avenir, quelques coupures leur feront sans doute justice.


Secret Cities – Strange Hearts

Franche déception que ce second essai du groupe de Fargo (la ville, pas le label), dont le précédent “Pink Graffiti” m’avait relativement enthousiasmé. Cette fois malheureusement, sa recette archi-éprouvée d’indie rock au sens mélodique trivial et à l’esprit totalement lo-fi ne permet jamais aux chansons de sortir du carcan où elles se complaisent. Non contents d’évoluer en terrain balisé, les musiciens du Nord Dakota ne cherchent même pas à mettre un tant soit peu de piment dans leur interprétation : mollement joués, les titres se succèdent sans éveiller le moindre intérêt. En cause aussi, une production tellement bâclée qu’on a l’impression d’écouter une cassette de démos. Sans quoi, des morceaux tels que Portland ou la plage titulaire auraient sans doute pu constituer de bons moments.


Slow Club – Paradise

Ce coup-ci, autant le premier galop du couple de Sheffield m’avait séduit – un mot expéditif en fut touché ici – autant cette suite ne déçoit pas... dans la mesure où elle était parfaitement prévisible. On évolue encore une fois dans le registre convenu des cavalcades en double voix, renforcées par quelques gimmicks bien sentis. Paradoxalement, les morceaux les plus énergiques sont chiants à mourir (If We’re Still Alive, Where I’m Waking, The Dog) mais l’intérêt renaît régulièrement des plages plus posées comme la délicate You, Earth or Ash. Accélérant de façon subtile, Two Cousins et Beginners sont des modèles de production efficace ; quant à la très dépouillée Hackney Marsh, elle fonctionne tout à fait sans artifices, et Gold Mountain aurait pu être composée par Tanya Donelly. Inconséquent mais agréable.


Wye Oak – Civilian

Sans prévenir, ce duo de Baltimore se fait aujourd’hui remarquer avec son déjà troisième album. Cautions de prestations scéniques incendiaires, désossées, les chansons de “Civilian” prennent sur disque une tout autre dimension, riche de textures et d’émotions retenues (le motif synthétique sur The Altar, les profondeurs explorées par Fish, les arabesques de Two Small Deaths ou Plains). Mais Wye Oak peut aussi frapper de grands coups rageurs. Le riff aride de Holy Holy évoque PJ Harvey à son plus intransigeant, et la fin de Dog Eyes est un condensé de mal du siècle grunge. Civilian, jolie tranche de western urbain, fait à son tour la différence. Il faut bien reconnaître cependant que tout l’album n’est pas de ce tonneau et que, tout recommandable qu’il soit, il ne se révèle pas essentiel.


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